Travailler avec les cinq Obstacles
TRAVAILLER AVEC LES CINQ OBSTACLES
Ajahn Thiradhammo
Amaravati Publications
Titre original : Working with the Five Hindrances
Traduction : Jeanne Schut
Travailler avec les cinq obstacles
par Ajahn Thiradhammo
REMERCIEMENTS
L’origine de ce livre remonte à une série de conférences données au monastère Bodhinyanarama de Wellington, en Nouvelle-Zélande. Plusieurs personnes de Vancouver et de Victoria (Canada), intéressées par le sujet, ont transcrit ces enseignements qui avaient été enregistrés et j’ai ensuite tenté de les mettre en forme pour en faire un livre. Comme je voyage beaucoup, ma vie ne se prêtait pas vraiment à cet exercice de sorte qu’il m’a fallu presque deux ans pour terminer ce projet.
Tandis que je travaillais à cette mise en forme, il m’est apparu évident que le livre serait grandement amélioré si j’explorais davantage le thème abordé, ce qui n’avait guère été possible lors des conférences de quarante-cinq minutes. Il m’a semblé particulièrement utile de faire une présentation plus systématique en m’appuyant sur une investigation plus approfondie de ces thèmes tels qu’expliqués dans le Canon pāli1. C’est ainsi qu’une grande partie des transcriptions originales ont été arrangées et réécrites. Comme le Canon pāli n’offre pas beaucoup d’explications détaillées des Cinq Obstacles, j’ai souvent fait référence au Visuddhimagga de Bhadantācariya Buddhaghosa. Bien que cet ouvrage ait été écrit neuf siècles après le Bouddha, il est censé être fondé sur les premiers commentaires dont certains pourraient remonter à l’époque même du Bouddha (PP.XVIII).XIV
Mon intention n’était pas d’écrire un manuel complet et définitif sur la façon de mettre fin aux obstacles mais plutôt de regrouper un maximum d’éléments du Canon pāli et de la littérature post-canonique sur ce thème, et de proposer des conseils concrets issus de ma propre expérience et de celle d’autres pratiquants. J’envisage cela comme un « Manuel sur les Obstacles » évolutif avec lequel les personnes intéressées peuvent commencer à travailler et qu’elles pourront enrichir de leur propre expérience à l’avenir. Chaque génération a besoin de trouver le moyen d’affronter sa propre constellation particulière d’obstacles, y compris des obstacles nés de l’évolution de la société (la prochaine génération devra faire face aux obstacles nés de la technologie). C’est pourquoi il serait bon de commencer par lire attentivement les deux premiers chapitres qui présentent les Cinq Obstacles et les conditions propices pour s’en libérer, puis de passer directement au chapitre qui traite de l’obstacle qui vous concerne le plus actuellement.
La plupart des livres sur l’attention incluent des informations sur les obstacles, certaines très superficielles, d’autres très approfondies. Le Vénérable Soma Thera a traduit le Discours sur l’Attention ainsi que le Commentaire y afférant qui contient des explications sur les obstacles. Le Vénérable Nyanaponika Thera a recueilli tous les passages du Canon pāli relatifs aux obstacles et a intitulé cet ensemble Les cinq obstacles mentaux. Bhikkhu Analayo a publié en 2012 un recueil d’articles comprenant une analyse fouillée des obstacles tels que présentés dans le Canon. Enfin, tout récemment, Joseph Goldstein a publié un livre très détaillé sur l’attention incluant une étude minutieuse des obstacles2.
Pour présenter les obstacles de manière globale, j’ai suivi un schéma suggéré dans les Fondements de l’attention : d’abord, savoir quand l’obstacle se présente, ensuite, savoir ce qui l’a causé, savoir quand il cesse et enfin savoir ce qui l’empêchera de réapparaître à l’avenir.
1 Le Canon pāli – également appelé Tipitaka ou Trois corbeilles – est un recueil des textes fondateurs du bouddhisme theravada qui inclut le Vinaya (l’ensemble des règles monastiques), les Sutta (discours du Bouddha) et l’Abhidhamma (commentaires philosophiques sur les enseignements du Bouddha).
2 Mindfulness, livre traduit en français en deux tomes : La pleine conscience et Le chemin vers l’éveil.
Dans la mesure où cette dernière étape est semblable pour tous les obstacles puisqu’elle doit être transcendée à chaque stade de l’éveil, je l’ai présentée dans un chapitre de conclusion intitulé « Au-delà des obstacles ». Dans chaque chapitre, j’ai inclus une méditation sur l’obstacle abordé pour que l’investigation ne demeure pas un simple exercice intellectuel.
La plupart des termes importants sont suivis du mot original en pāli car certaines traductions peuvent différer. Pour les lecteurs intéressés par la source des passages cités, des références sont données selon les titres, chapitres et pages ou les discours entiers (sutta) tels qu’ils apparaissent dans les éditions de la Pali Text Society3. Sauf mention contraire, toutes les traductions du pāli sont de moi.
La publication de ce livre est le produit des efforts de nombreuses personnes. Je voudrais tout d’abord exprimer mon appréciation à tous ceux qui ont diligemment transcrit les conférences originales : Brock Brown, June Fukushima, Piriya Nowak, Liam Perdue, Eric Bedard, Grant Smith et Theresa Aspol. Mon intrépide éditeur a patiemment accepté d’apporter les changements au fil des multiples réécritures. Ajahn Munindo m’a soutenu et aidé à bien des égards. Anumodana4 pour le financement de la composition et de la mise en page du texte par Nat, George et Yui Thanchaipat en mémoire de la sœur de cette dernière, Pattom Noyer. Mes remerciements au Vénérable Nyanatusita pour m’avoir permis de citer The Path of Purification5 publié par la Buddhist Publication Society de Kandy, Sri Lanka, et à Ajahn Chandapalo et Ajahn Karuniko pour avoir relu le manuscrit. Enfin et toujours un grand anumodana au groupe Kataññutta de Malaisie, Singapour et Australie pour leur générosité dans le financement de l’impression des livres sur le Dhamma.
Ajahn Thiradhammo Chithurst Forest Monastery West Sussex, Royaume Uni.
3 Association britannique fondée en 1881 par Thomas William Rhys Davids pour encourager et promouvoir l'étude des textes du Canon pāli.
4 Anumodana : mot pāli également utilisé couramment dans la langue thaïe pour remercier et exprimer son appréciation.
5 En français Le Chemin de la pureté, publié aux éditions Fayard. Commentaire du Vénérable Buddhaghosa sur les enseignements du Bouddha qui date du 5ème siècle.
ABRÉVIATIONS
Les notes bibliographiques très précises de l’auteur se réfèrent à des ouvrages en anglais dont voici les abréviations. Certains seulement de ces ouvrages ont été traduits en français
(voir notes de bas de page).
A Aṅguttara Nikāya
Bud. Dict. Buddhist Dictionary
CDB The Connected Discourses of the Buddha: A Translation of the Saṁyutta Nikāya, Bhikkhu Bodhi
D Dīgha Nikāya
Dhp. Dhammapada
GDB Great Disciples of the Buddha, Nyanaponika Thera & Hellmuth Hecker6 LDB The Long Discourses of the Buddha: A Translation of the Dīgha Nikāya,
Maurice Walshe
M Majjhima Nikāya
MLDB The Middle Length Discourses of the Buddha: A Translation of the Majjhima Nikāya, Bhikkhu Ñāṇamoli & Bhikkhu Bodhi7
NDB The Numerical Discourses of the Buddha: A Translation of the Aṅguttara Nikāya, Bhikkhu Bodhi
PED Pāli-English Dictionary, Rhys Davids, T. W. and Stede, W. PP The Path of Purification, Bhikkhu Ñāṇamoli8
S Saṁyutta Nikāya
6 Les grands disciples du Bouddha par Nyanaponika Thera et Hellmuth Hecker, éd. Claire Lumière
7 Les Moyens discours du Bouddha, éd. Les Deux Océans
8 Le chemin de la pureté, le Visuddhimaga, éd. Fayard.
INTRODUCTION
Le thème de ce livre est : comment travailler avec9 les Cinq Obstacles (mentaux) ou nīvarana. De ce fait, il s’adresse peut-être plus particulièrement aux personnes qui ont une certaine expérience de la méditation, qui se sont trouvées dans une certaine mesure face à ces cinq « obstacles », entraves ou nuisances, et qui aimeraient savoir comment les gérer.
Ces obstacles apparaissent souvent dans la vie de tous les jours mais, dans le contexte bouddhiste, ils figurent très clairement dans la pratique de la méditation – ou entraînement de l’esprit – dans un sens négatif. Ainsi, pour s’assurer une vie paisible et un approfondissement régulier de la méditation, le travail sur les obstacles est, à n’en pas douter, extrêmement utile. Peut-être ne les avez-vous pas encore tous rencontrés en chemin mais attendez un peu et vous verrez ! Ce sont très concrètement des « obstacles mentaux » dans le sens où ils entravent le développement de l’esprit ; ils le distraient et le perturbent, ils peuvent même le posséder ou l’obséder. Ils empêchent l’esprit d’entrer dans un état qui ouvre sur une concentration plus profonde, une vision plus claire des choses, une prise de conscience de la réalité. Lorsqu’ils pratiquent la méditation, même en utilisant de nobles thèmes comme « les quatre demeures divines »10, les méditants se retrouvent presque toujours face aux réalités concrètes de notre condition humaine ordinaire telles qu’exemplifiées par ces obstacles mentaux.
Les Cinq Obstacles sont mentionnés dans les Écritures dans plusieurs contextes différents. Il est dit que ces « empêchements, obstacles ou entraves de l’esprit arrivent à vaincre la sagesse » (S.V,96), qu’ils « rendent aveugle, sont la cause d’un manque de vision juste, d’une ignorance, font obstacle à la sagesse, sont associés à la détresse et ne mènent pas à l’éveil (nibbāna) » (S.V,97). Quand l’esprit est obsédé par les Cinq Obstacles, on « ne comprend pas ou on ne voit pas tel qu’il est son propre bien-être, le bien-être des autres ni celui de chacun » (A.III,230), on « ne peut pas connaître ou voir les choses telles qu’elles sont réellement » (M.I,323) et ils produisent un manque de connaissance et de vision juste (S.V,127). Si on médite avec un esprit obsédé par les obstacles, on « dé-médite » – ce qui n’est pas une forme de méditation louée par le Bouddha (M.III,13). Dans une célèbre image, le Bouddha compare ces obstacles aux impuretés de l’or : ce n’est qu’une fois débarrassé de ses impuretés que l’or peut être travaillé. De même, c’est lorsque l’esprit est libéré de ces obstacles qu’il devient « malléable, pratique, lumineux, souple et dûment concentré pour l’éradication des poisons [engendrés par la croyance erronée en un ‘moi’. Il était censé nous donner une série de tests sur une période donnée pour voir si nous progressions (ou régressions) dans le développement de la personnalité, je pense. Il n’a jamais terminé sa recherche mais l’un des résultats obtenus a été la découverte que, plus les personnes qui venaient en Thaïlande avaient une idée précise de ce qu’elles voulaient obtenir, plus vite elles repartaient. Les moines ou les nonnes qui sont restés le plus longtemps sont ceux qui sont venus en Thaïlande avec l’idée que ce serait seulement un séjour provisoire : «Je vais rester un mois ou deux et puis je verrai. » En général, ils prolongeaient de deux mois, puis encore deux mois, et vingt ans passaient ! On aurait pu penser que ce serait l'inverse ; on aurait pu s’attendre à ce que ceux qui étaient décidés à rester moines le reste de leur vie auraient tenu le plus longtemps, tandis que ceux qui venaient juste passer deux mois pour méditer au chaud en Thaïlande pendant l'hiver canadien seraient partis plus tôt. Mais l’étude a prouvé le contraire, la raison étant que ceux qui avaient des plans à court terme pouvaient revoir leurs plans en fonction de l'évolution de leur pratique. Ils pouvaient se demander : « Est-ce que ça marche ? Est-ce que ça me fait du bien ? Oui, on dirait que ça va, alors je vais rester encore deux mois. » Tandis que ceux qui avaient des attentes bien précises, une fois confrontés à toutes les différences culturelles de la Thaïlande, trouvaient que la réalité ne correspondait pas à leurs attentes.
J'ai entendu parler d'un homme de Chicago qui avait prévu d'aller en Thaïlande et de devenir un saint moine pour toujours. Il a pris l'avion et deux semaines plus tard, il était de retour : les chiens de Thaïlande étaient trop bruyants ! Il n'a jamais imaginé que les chiens puissent aboyer toute la nuit à Bangkok. Il pensait aller en Thaïlande dans un temple bouddhiste paisible où tout le monde était pacifique et bouddhiste, mais les chiens aboyaient toute la nuit et avaient failli le rendre fou. Je me suis dit que Chicago ne devait pas être tellement calme non plus mais bon, je suppose qu’il s’était habitué aux claquements métalliques du train de la Chicago Transit Authority qui traverse la ville à toute heure, mais où les chiens n’aboient pas. Quelqu'un d’autre est venu en Thaïlande sans imaginer tous les moustiques et les insectes qu’il allait y trouver. Cela l’a vraiment choqué. Il venait d'Angleterre, où il n'y a presque pas d'insectes gênants, hormis quelques mouches peut-être. En Thaïlande, on doit apprendre à vivre avec des moustiques et des fourmis qui se nourrissent de notre sang. Le fait est que si nous avons des attentes très précises, il est difficile de changer, de s’accoutumer, de s’adapter aux situations de la vie. Lorsque nos attentes ne sont pas satisfaites, cela peut engendrer désillusion, léthargie, voire même désespoir. Cela peut également déclencher d'autres obstacles tels que l'inquiétude et le doute.
DÉSERT SPIRITUEL
Le marasme intérieur peut aussi être causé par une espèce de sécheresse spirituelle due au fait que nous sommes enlisés dans une ornière. Certaines qualités spirituelles, en particulier celles qui sont apaisantes comme la concentration, le calme et l’équanimité, ont besoin d’être constamment renforcées pour bien se développer et pour que nous puissions en bénéficier. Cependant, cet effort peut parfois se transformer en une sorte d’habitude ritualiste que l’on pratique pour la forme, sans vitalité. Nous faisons ce qu’il y a à faire mais souvent sans y être vraiment présents. Cela aboutit à un nivellement par le bas ou à un engourdissement de la pratique spirituelle, avec une perte d'énergie et une léthargie rampante. À d'autres moments, nous continuons peut-être à pratiquer religieusement une certaine technique parce qu’elle nous a été suggérée par un enseignant, ou qu’elle a donné de bons résultats, ou encore une technique qui nous plait parce que nous pensons qu’elle nous fait du bien. Après un certain temps, cela peut également se transformer en un rituel sans vie, qui nous vide de notre énergie et nous engourdit dans une complaisance spirituelle cum léthargie. Nos nobles aspirations spirituelles sont épuisées, elles ont perdu toute vitalité, et nous nous retrouvons avec des rites et des rituels vides de sens.
CESSATION
La léthargie et la somnolence peuvent cesser lorsque l'énergie augmente. Plus précisément, on parle de « l’élément de création (ārambhadhātu), l’élément de persistance (nikkamadhātu) et l’élément d’effort (parakkamadhātu) » (A.I, 4). Le Commentaire sur l'Aṅguttara Nikāya définit ces notions comme « trois degrés d'énergie puissants successifs »26. Porter fréquemment une attention appropriée à ces trois degrés d'énergie est considéré comme une façon de cesser de nourrir la léthargie et la somnolence (SV, 105) et d’apporter le carburant nécessaire à l’apparition du facteur d’éveil « énergie » et à son plein épanouissement (SV, 104).
Le Canon pāli indique également que, lorsque l’esprit est « poussif » (linam), il convient de développer les trois facteurs énergisants de l’éveil : l’investigation des phénomènes, l’énergie et la joie (S.V, 113). Étant donné que le développement de l’énergie est le principe fondamental, nous allons commencer par lui.
ÉNERGIE ET EFFORT
Il existe de nombreux types d’énergie, il est donc utile de savoir ce que le Bouddha entendait par ce mot. Parfois, il donnait un encouragement général :
Moines, ceux qui sont paresseux demeurent dans la souffrance, ils sont habités par des états mauvais et malsains, et le bien qu’ils gaspillent est grand. Tandis que ceux qui sont énergiques demeurent dans le bien-être, loin des états mauvais et malsains, et le bien qu’ils génèrent est grand ...
Par conséquent, moines, éveillez l’énergie nécessaire pour atteindre le non- encore atteint, pour acquérir le non-encore acquis, pour réaliser le non-encore réalisé ... (S.II, 29).
La référence la plus fréquente faite par le Bouddha pour développer l'énergie est liée à l’effort d'abandonner les tendances malsaines et de cultiver celles qui sont saines :
Là encore, moines, un moine a éveillé de l’énergie pour abandonner des tendances malsaines et acquérir de belles qualités ; inébranlable, ferme dans l'effort, il ne pose pas le fardeau qui consiste à acquérir de belles qualités. (A.IV, 352; V, 24; 90)
Au paragraphe 12 de l’ IA, il est dit que l’énergie est la chose la plus utile pour éveiller des états d’esprit sains et mettre fin aux états d’esprit malsains. Cela a été formalisé dans le facteur de l’Effort Juste (sammā vāyāma) de l’Octuple Sentier ou dans les « quatre efforts justes » (sammappadhāna). L’énergie génère le désir (chanda) 1) de ne pas permettre que surgissent de mauvais états d’esprit ; 2) d’abandonner les états d’esprit malsains déjà surgis; 3) de susciter l'apparition d'états d’esprit sains; 4) de poursuivre, de développer et de faire s’épanouir les états sains apparus. (S.V, 9; 244)
26 NDB, 1595 note 33. Onze manières de susciter le facteur énergétique de l'éveil: 1) en examinant la peur dans les sphères de souffrance ; 2) en voyant les avantages des réalisations possibles grâce à l'énergie ; 3) en réfléchissant au fait que l'on est sur la voie empruntée par les bouddhas, les bouddhas silencieux et les grands disciples, pas sur la voie des paresseux ; 4) en honorant les offrandes qui nous sont faites par le fruit de la pratique ; 5) en réfléchissant à la grandeur du Bouddha qui loue ceux qui sont énergiques ; 6) en réfléchissant à la grandeur de l’héritage du Dhamma ; 7) en éliminant la léthargie et la somnolence par a) la perception de la lumière, b) un changement de posture, c) le plein air ; 8) en évitant les personnes oisives ; 9) en s’associant à des personnes énergiques ; 10) en revoyant ce que le Bouddha dit de l’Effort Juste ; 11) en prenant la résolution d’éveiller en soi de l’énergie (PP, 137; cf. CDB, 1907 note 87).
Le plus grand encouragement du Bouddha à cultiver l’énergie a été la détermination qu’il a proclamée peu avant son éveil et qu’il a suggérée aussi bien aux moines qu’aux laïcs :
Même s’il ne reste dans ce corps que la peau, les tendons et les os, même si la chair et le sang se dessèchent, je ne relâcherai pas mon effort tant que je n'aurai pas atteint tout ce qui peut être atteint par la force humaine, l'énergie humaine et l'effort humain, (AI, 50; IV, 190; S.II, 28; 276; MI, 481).
LA VOLONTÉ
Pour beaucoup, le moyen le plus évident d’éveiller de l’énergie est la volonté. Certaines personnes sont très douées pour générer de la volonté; elles sont très volontaires et ont beaucoup de dynamisme dans la vie. Derrière ce dynamisme se cache la volonté, qui est en réalité une extension de l'ego. Qui exerce la volonté ? C’est « moi » qui veux bien faire, « moi » qui ordonne au corps : « Assieds-toi là ! Fais ceci ! Fais cela ! » Et la caractéristique fondamentale de l’ego est qu’il veut toujours que ses désirs soient réalisés. Ainsi, l’esprit étroit se concentre sur un objectif qui renforce l'ego, tel que : « Je veux trouver l’éveil » (alors même que l'éveil est sans ego).
Voici donc une source d'énergie, mais qui a un faux visage : c'est une énergie alimentée par l'ego. Elle nous aide dans certains moments difficiles et nous pouvons l'utiliser en cas d'urgence. Cependant, la pratique spirituelle consiste à voir à travers l'illusion de l'ego, et non à en devenir dépendant ou à le nourrir. Nous devons accepter que la volonté fonctionne parfois mais qu’au final, c’est un faux pouvoir. Il est donc important de savoir reconnaître à quel moment nous dépendons de la volonté et d’apprendre à la détendre. Nous le faisons en étant moins obsédés par le succès ou le contrôle, qui sont les objectifs de la volonté et qui se manifestent par une rigidité obstinée et un manque de flexibilité. Parfois, nous pouvons l’utiliser pour surmonter des épreuves, mais nous devons faire attention à ne pas en devenir dépendants, ni à la considérer comme une source ultime de pouvoir. Que voulons-nous atteindre : la vérité ou des buts personnels ? Que voulons-nous contrôler ?
L’ÉNERGIE DE VIE
Étant davantage conscients de l'énergie qui habite le corps et l'esprit, nous pourrons peut- être reconnaître une autre sorte de force. Lorsque nous ne sommes pas dominés par la volonté, il reste toujours la force vitale, une force de vie fondamentale. Par exemple, nous ne pouvons pas arrêter de respirer. Nous pouvons retenir volontairement notre souffle pendant un moment, mais nous ne pouvons pas arrêter de respirer. La respiration est un instinct dont nous sommes tous plus ou moins conscients au cours de notre vie. C’est l’instinct de survie, un désir quasi- élémentaire de survivre. La plupart du temps, il est très mêlé à l’ego, de sorte qu’il est difficile de le distinguer. Mais si on arrive à mettre de côté la partie ego, la partie volonté, on prend conscience d’une autre sorte de force à l’arrière-plan à laquelle on peut accorder davantage d’importance. C'est une énergie qui possède stabilité et continuité. La volonté est quelque chose que nous activons et désactivons à notre gré et il est difficile de la maintenir longtemps car il s'agit d'une énergie artificielle. Par contre, la force de vie se poursuit tout au long de notre existence à un rythme qui maintient les conditions vitales.
LA FORCE D’INTENTION
Le facteur d'intentionnalité est beaucoup plus bénéfique que la volonté. Ainsi, plutôt que de nous enfermer dans une force de volonté dirigée vers soi, nous mettons judicieusement en place
une intention de pratiquer basée sur la force de vie. Cela nous donne une direction et une motivation sans la rigidité de la volonté. L'intention est plus ouverte et capable de prendre en compte d'autres facteurs, tels que l’énergie présente dans le corps à un moment donné, l'état d’esprit et la situation extérieure. Elle est comme un régisseur derrière les coulisses, elle rassemble les divers facteurs physiques et mentaux et les guide vers l'avant. Ainsi, par exemple, lorsque vous êtes assis en méditation, prenez l’intention de rester dans cette posture puis essayez de déterminer la quantité d’effort requise pour maintenir le corps assis bien droit. Veillez à ne pas vous tendre, vous pousser ou vous forcer ; utilisez juste assez d'effort pour empêcher le corps de s'effondrer. L’équilibre du « juste assez », soigneusement dirigé par une intention habile, n’est pas aussi évident que l’effort volontaire mais il peut être maintenu beaucoup plus longtemps. L’aspiration ou l’intention juste, en tant que facteur de l’Octuple Sentier, est une intention de renoncement, de non-négativité et de non-nuire – tous facteurs qui sapent l’ambition coercitive de la volonté.
LE FACTEUR D’ÉVEIL DE L’INVESTIGATION DES PHÉNOMÈNES
Le facteur d'éveil de l'investigation des phénomènes découle de l’attention. Quels sont précisément ces phénomènes ? Ce que nous essayons de faire, au fond, c’est échapper à l’effet
« paralysant » et « étouffant » de la léthargie et de la somnolence en changeant notre perspective, en passant du sentiment d’être enveloppés par elles au sentiment d’en avoir pleinement conscience. Une fois que nous distinguons clairement la léthargie et la somnolence sous leurs diverses formes et leurs divers degrés d’intensité, nous pouvons les examiner de manière approfondie. Comment et quand surviennent-elles ? Ce processus peut apporter une certaine énergie à l’esprit a) en suscitant l’énergie nécessaire à l’investigation, b) en faisant de notre présence consciente un outil d’analyse, c) en créant une certaine « surexcitation » du fait de la compréhension des causes du problème.
L'un des moyens concrets de développer l'investigation consiste à générer un intérêt pour l’exploration de la pratique spirituelle. Il est très bénéfique d’aborder la pratique de la méditation avec l’intention d’observer de près le corps et l’esprit, plutôt qu’avec un plan préconçu de ce que devrait être la pratique spirituelle : « Je vais éliminer les Cinq Obstacles, développer les sept facteurs d’éveil et j’atteindrai l'entrée dans le courant ! » La pratique spirituelle ne répond jamais à nos attentes auto-imposées, et avoir de telles attentes entraîne généralement déception, découragement et perte d'énergie. Cependant, si nous pouvons transformer notre déception en un intérêt pour les processus que nous traversons, nous pouvons générer une autre source d'énergie. Avec une bonne investigation, nous pouvons briser les vieilles habitudes étouffantes et paralysantes : « Que se passe-t-il donc ici ? » L’investigation méditative est un outil qui permet d’explorer le corps et l’esprit afin de découvrir la véritable nature des choses.
Nous pouvons pratiquer ainsi même avec un objet de méditation ordinaire comme la respiration. Et si vous vous y intéressiez davantage ? Plutôt que le considérer comme un exercice superficiel, commencez à l'explorer plus attentivement : « Qu'est-ce que ce processus de respiration ? » Il y a une profonde expérience dynamique en cours, pas seulement un concept répétitif de respiration : la respiration pénètre dans le corps, elle le gonfle ; il y a un instant de pause et puis l’air ressort. Au fur et à mesure que nous éclaircissons la nature de ce processus, cela peut devenir tout à fait passionnant. Difficile d’imaginer que la respiration soit passionnante – peut-être pendant les premières respirations mais ensuite la mémoire bloque tout. Mais si vous restez vraiment présent à l'immédiateté du souffle, chaque respiration est totalement nouvelle : on n’inspire jamais deux fois le même air – sous peine d’asphyxie ; vous remarquez que la façon dont la respiration change dépend de l'état d’esprit et de l'état du corps.
Vous pouvez vous intéresser de plus en plus à la façon dont le corps affecte l'esprit, à la façon dont l'esprit affecte la respiration et, si l’intérêt est présent, le processus devient très absorbant et génère de l'énergie. Ce que nous sommes en train de faire, c’est transformer l’observation du souffle en un objet d’étude et d’investigation au lieu de nous contenter de suivre une pratique religieusement.
Nous pouvons appliquer cette attitude à l’exploration de la nature de la léthargie et de la somnolence, de leur cause et de leur cessation. Bien sûr, le « truc » consiste à entamer ce processus d’enquête avant d’être complètement englouti. Si tout va bien, c'est ce que l’attention peut révéler en nous ouvrant un espace d'exploration. Il est assez exaltant d’explorer quelque chose pour en découvrir toute la vérité.
LE FACTEUR D’ÉVEIL DE LA JOIE
Formellement parlant, la joie (pīti) est l'une des propriétés des absorptions méditatives. Cependant, des formes de joie, de félicité ou de ravissement légèrement moindres peuvent découler de l’inspiration, d’un éclair de compréhension des enseignements ou de certaines formes de concentration. Le chemin de la pureté, en traduisant pīti par « bonheur » en distingue cinq sortes depuis « mineur » jusqu’à « omniprésent », en passant par « élevant » et « pouvant provoquer la lévitation ». La joie dite « omniprésente » est un facteur d’absorption méditative.
L'une des sources d'énergie spirituelle les plus courantes pour beaucoup de bouddhistes est l'inspiration, laquelle provient généralement de leur dévotion et de leur foi. Certaines personnes sont inspirées par l'exemple du Bouddha ou de leur propre maître spirituel. D’autres sont inspirées par la vérité de l’enseignement du Bouddha ou par leur propre compréhension intuitive du Dhamma. D'autres encore s'inspirent du Sangha, la communauté des pratiquants, qu’il s’agisse de la lignée des anciens disciples éveillés ou de ceux qui pratiquent diligemment aujourd'hui. Le Canon pāli mentionne la joie qui grandit en nous lorsque nous évoquons en méditation le Bouddha, le Dhamma, le Sangha, notre propre comportement vertueux, notre propre générosité ainsi que les êtres célestes. Tandis que l’on se consacre à ces évocations, les tendances malsaines à la convoitise, l’aversion et l’ignorance n’obsèdent pas l’esprit car il est entièrement orienté et centré sur ces thèmes. Cette joie génère la tranquillité, le bonheur et la concentration suivis du ravissement, (A.V, 329).
Personnellement, je distingue deux sortes d’inspiration: l’une qui va nous encourager à pratiquer et l’autre qui génère plutôt l’admiration, voire l’adulation. Prenons, par exemple, la vie du Bouddha. Si nous la considérons, l’interprétons et la comprenons d’une certaine manière, elle peut nous encourager. D'un point de vue historique, il s’agit d’une personne qui a vécu il y a 2600 ans, un être humain comme vous et moi qui, grâce à ses efforts dans le domaine spirituel, a pu réaliser l'éveil. N’est-ce pas encourageant ? Nous avons peut-être encore un long chemin à parcourir mais en tout cas il est encourageant de savoir qu'un être humain comme nous peut trouver l’éveil.
Cela dit, nous pouvons aussi voir les choses autrement, par exemple en insistant sur les miracles qui ont entouré la naissance du Bouddha, les rêves prémonitoires que sa mère a fait avant de le mettre au monde, et toutes ses caractéristiques physiques et mentales particulières. Le mieux que nous puissions faire alors est de l’admirer, peut-être même de l’adorer : « Je suis ici sur terre et lui, il est là-haut, parfaitement éveillé. » Cela pourrait même vous décourager ou vous dissuader de pratiquer : « Moi, je n’y arriverai jamais ; ce type est un surhomme. » C'est malheureusement ce que pensent certaines personnes : elles placent le Bouddha sur un piédestal tellement haut qu'il devient hors de portée. Cependant, d’autres trouvent inspirant qu’il existe un héros spirituel et, grâce à leur dévotion, ils peuvent développer des qualités bénéfiques. Bien sûr, il n’est pas facile de devenir un bouddha éveillé par ses propres efforts, mais il est toujours
possible de devenir un arahant pleinement éveillé si nous suivons ses enseignements. En outre, il est bon de garder à l’esprit qu’entendre les enseignements d’un bouddha est très rare ; nous ne devrions donc pas laisser passer cette occasion car elle pourrait ne pas se reproduire de sitôt.
L'énergie que donne l'inspiration peut parfois être instable ou capricieuse et, sans une base solide, elle peut facilement changer. J’ai vu des jeunes gens arriver au monastère, très inspirés d’avoir été ordonnés moines, « heureux à jamais », comme dans les contes de fées. Cette forme d'inspiration exalte les gens, leurs yeux sont grands ouverts et ils redoublent d’énergie. Mais souvent ce n’est qu’une partie d’eux-mêmes qui est inspirée. Quand les choses deviennent difficiles, l'inspiration superficielle s’écroule, ils n’arrivent pas à la maintenir. Ils ne peuvent pas conserver cette même inspiration quand ils ne sont plus impressionnés par la vie monastique, ou qu’ils ne réussissent pas à accomplir ce qu’ils voulaient, ou qu’ils ne sont pas au centre de l’attention ou constamment encouragés. Leur inspiration était basée sur une curiosité superficielle et elle commence à s’effriter une fois qu’ils pénètrent dans le quotidien. Comme l’a dit un moine: « La vraie source de succès dans la vie spirituelle n’est pas l’espoir, mais le désespoir ! » Pas tellement inspirant finalement, n’est-ce pas ? Tout dépend de la profondeur de l’inspiration, à quel point elle est ancrée dans la réalité.
Après trois ans de vie monastique, j'ai perdu mon inspiration. Ma pratique avait atteint un
« plateau » et aucune nouvelle révélation ne m’arrivait. Cependant, j’ai eu la chance de rencontrer, à ce moment-là, Ajahn Chah et Ajahn Sumedho, que j’ai considérés comme de vivants exemples du fruit de la pratique. Mon inspiration pour la vie monastique a été ravivée… mais elle s'est affaiblie à nouveau neuf ans plus tard. J'ai alors quitté la Thaïlande pour vivre dans les monastères édifiés en Angleterre et toute une série de nouveaux défis m’a permis de continuer à avancer sur cette voie. Après une quinzaine d'années, l'inspiration a de nouveau flanché mais cette fois, j'avais prudemment anticipé un tel moment. J'avais lu les principales écritures bouddhistes à plusieurs reprises et elles m’inspiraient beaucoup. Mais il y avait une série de textes que je n'avais pas lus ; je les avais mis de côté en cas d’urgence grave. C'était une bonne chose.
Le livre que je gardais de côté en cas d’urgence monastique était un recueil de poèmes intitulés Theragāthā et Therigāthā. Ce sont tous les récits des moines et des nonnes du temps du Bouddha qui ont réalisé le plein éveil. Quand j’ai perdu ma propre inspiration, j’ai ouvert ce livre et lu ces histoires profondes écrites par différentes personnes sur la manière dont elles ont consacré leur vie à la pratique spirituelle. Et elles ont toutes réussi, elles ont toutes atteint l’éveil ! L'une des précieuses leçons de ce recueil de poésie spirituelle fut que la pleine compréhension du Dhamma peut avoir lieu à tout moment. Une religieuse, par exemple, était assidue mais ne pouvait pas réaliser l’éveil. Puis une nuit, elle est entrée dans sa cabane pour se reposer et, à l’instant où elle a éteint sa lampe, son esprit a été libéré. Nibbāna signifie
« éteindre, quitter ». Alors que la lampe s'éteignait, sa saisie de l'ego s'est éteinte. Elle a raconté son expérience d'éveil dans ce poème et il a été transmis dans les Écritures.
Tandis qu’il s’occupe des champs avec la charrue et le fouet, semant des graines dans la terre, nourrissant sa femme et ses enfants, le jeune homme est prospère.
Pourquoi est-ce que moi, qui ai une conduite morale parfaite et qui suis la doctrine du maître, ne puis-je atteindre le nibbāna ? Je ne suis ni paresseuse ni fière.
Je me suis lavé les pieds et j’ai regardé l'eau. J’ai vu cette eau qui m’avait lavée couler le long de la pente.
Là-dessus, mon esprit s’est concentré, comme pour entraîner un noble cheval.
Prenant une lampe je suis entrée dans mon logis ; j'ai examiné la couche puis je me suis assise sur le lit.
Prenant l’éteignoir, je l'ai appuyé sur la mèche.
Extinction de la lampe – libération de l'esprit !
La lecture de ces récits m’a donné une autre leçon précieuse : j’ai appris les diverses façons dont les gens pratiquaient. Certains d'entre eux avaient déjà un niveau de maturité spirituelle très avancé et n'avaient besoin que d'un bref enseignement du Bouddha ou de quelques instructions basiques d'un disciple pour découvrir la vérité. D'autres avaient subi de graves traumatismes émotionnels et cherchaient un refuge dans les enseignements. Ils étaient donc très motivés par leurs souffrances. D'autres encore ont lutté pendant de nombreuses années avant de connaître une percée. Certaines de ces histoires préfigurent peut-être notre propre chemin de pratique ou nous incitent à continuer parce que nos problèmes semblent parfois dérisoires en comparaison.
Un autre moyen de susciter la joie, c’est de la cultiver consciemment. L'un des exercices du discours sur la pleine conscience de la respiration (M. sutta 118) consiste à respirer en ressentant de la joie. Au lieu d'attendre qu’elle arrive, nous pouvons faire un effort pour la générer nous- mêmes. Une méthode plus simple consiste à cultiver une attitude joyeuse vis-à-vis de la méditation. Trouvez le moyen d'en faire une expérience agréable. Ce que je suggère aux personnes qui pratiquent seules, c’est de méditer aussi longtemps que cela est agréable. Certaines personnes préfèrent se fixer une heure, au risque de passer les dix ou quinze dernières minutes à supporter douleur ou inconfort. En continuant sur cette voie, l'inconfort va créer une résistance, une tension et un mécontentement, et peut-être que le seul moyen d’y échapper sera de s'endormir ! Si vous aimez méditer, cela créera du plaisir.
Autres moyens de stimuler l’énergie Sentiment d’urgence
Il existe une source particulière d’énergie et de motivation pour la pratique spirituelle qui se traduit littéralement par « sentiment d’urgence » – en pāli samvega. Cela signifie être stimulé spirituellement, réveillé, secoué, généralement par une crise existentielle. De nombreuses personnes sont mues par un sentiment d'urgence lorsqu'elles traversent une crise dans leur vie, comme une maladie grave ou le décès ou la maladie d'un proche. Cependant, elles sont souvent tellement angoissées à ce moment-là que leur énergie spirituelle en est paralysée. Il peut donc être utile de passer en revue les dangers de la naissance et l'inévitabilité du vieillissement, de la maladie et de la mort en tant que thèmes de méditation spécifiques tant que nous avons de l'énergie pour pratiquer ce type de réflexion. Il est facile de pratiquer quand on est jeune et que les genoux sont encore souples. En vieillissant, il est de plus en plus difficile de pratiquer, non seulement physiquement mais aussi mentalement. Nous ne sommes pas forcément toujours en bonne santé et l'esprit peut ne pas être aussi alerte. Pour pouvoir pratiquer, la plupart des gens ont besoin d’une certaine énergie, d’une bonne condition physique et d’être exempts de maladie. Vous direz peut-être : « Je suis pratiquement sûr de pouvoir pratiquer n'importe où, même si j’étais malade. » Mais essayez et vous verrez que ce n'est pas si facile. Qu'en est-il des situations difficiles telles que l'annonce d'une crise financière ? Pourriez-vous méditer alors que les marchés boursiers s'effondrent autour de vous ? Ou que diriez-vous de vos conditions de vie ? Personnellement, pour pouvoir méditer, j'aime bien avoir assez chaud et assez à manger… pourtant, ces conditions peuvent changer.
Trois des autres « motifs de saṃvega » qui ont un sens pour les bouddhistes sont l’évocation de la souffrance qui règne dans les sphères infernales, la souffrance que nous avons (probablement) vécue dans les renaissances passées et la souffrance (possible) que nous subirons dans les renaissances futures si nous ne sommes pas assez diligents dans cette vie. La
dernière source d’urgence est l’évocation de la souffrance résultant du maintien de ce corps fragile dans la vie actuelle (PP.140; cf. A.II, 115). Il est également suggéré de prendre l’habitude d’évoquer un squelette comme moyen de susciter un sentiment d'urgence (S.V, 130).
Le Bouddha a décrit les « cinq situations propices à l'effort » : 1) être jeune, 2) être en bonne santé, 3) recevoir assez de nourriture, 4) participer à une société harmonieuse, 5) avoir un Sangha où règnent amitié et entente (A. III, 67). Nous avons peu de temps et notre énergie est limitée. En réfléchissant à tout ceci avec sagesse, nous trouverons un peu plus d’ardeur à pratiquer. Nous avons intérêt à mettre à profit le temps qui nous est imparti. Les minutes défilent, nous n’avons que ces soixante, soixante-dix, quatre-vingts ans pour trouver l’éveil. Vite, il faut nous dépêcher!
LA CONSCIENCE DE LA MORT
Il est bon également de développer un peu la méditation sur la mort. En général, je n’évoque pas ce thème en public car les gens ont tous une conception différente de la mort. Pour les personnes qui souffrent d’une peine non résolue, cela risque de réveiller un traumatisme. Pour d'autres, cela peut être un bon moyen de générer de l'énergie ou de les encourager à une plus grande diligence dans la pratique spirituelle. S’il vous semble que vous avez besoin de ce type de pratique plus énergique, il peut être utile de vous rappeler régulièrement que la mort peut survenir à tout moment. Nous avons tendance à croire que nous allons continuer à vivre jusqu’au jour où il devient évident que ce ne sera pas le cas ; un jour, nous sommes surpris… et c’est trop tard !
Dans un de ses discours (A.III, 304), le Bouddha encourage les moines à contempler la mort parce que cette réflexion est « très fructueuse et bénéfique ». Il demande ensuite si quelqu'un médite sur la mort et l'un des moines répond : « Oh oui ! Je me dis : ‘Puissè-je vivre juste un jour et une nuit de plus’. » Un autre moine répond : « Je me dis : ‘Puissè-je vivre assez longtemps pour finir la nourriture qui m’a été offerte’. » Un autre répond : « Je me dis : ‘Puissè- je vivre le temps qu'il faut pour mâcher et avaler une seule bouchée de nourriture’. » Enfin, l'un d'eux répond : « Je me dis : ‘Puissè-je vivre le temps nécessaire pour inspirer ou expirer. '' Le Bouddha dit alors que seuls les deux derniers moines vivaient dans la présence consciente et développaient l'attention à la mort avec ardeur.
Nous n’en sommes généralement pas conscients, mais la mort peut survenir à tout moment, elle peut être immédiate. Alors, quand nous comprenons que si nous somnolons en méditant, nous risquons de ne plus nous réveiller, nous sentirons peut-être un respect renouvelé pour l’application dans la pratique.
SOUFFRANCE
Même s’il est difficile de le concevoir, la souffrance est parfois une source d’énergie. Mais nous devons faire attention à la façon dont nous l'abordons, car trop de souffrance peut nous épuiser et nous décourager. Être constamment dans la douleur, la détresse, la déception ou les tribulations peut être très débilitant. D'un autre côté, si nous ressentons du stress ou un malaise, nous pouvons être incités à chercher une solution. Dans un discours, le Bouddha a déclaré que la souffrance est soit source de confusion soit de quête (A.III, 416). Certaines personnes sont simplement déconcertées par ce qui leur arrive, elles sont désorientées : « Je ne devrais pas être ainsi, je ne veux pas qu’il en soit ainsi. » Peut-être gaspillent-elles de l’énergie dans la lutte qu’elles mènent pour vaincre la souffrance. D’autres vont se poser et réfléchir : « Je dois trouver une solution à cela. » Plutôt que d’essayer de nier la souffrance, de l’ignorer ou de la refouler, elles essaient de trouver un moyen d’en sortir. Cela leur donne une énergie supplémentaire pour
réfléchir, contempler leur situation de vie et rechercher une solution spirituelle. Sans cet aiguillon, nous risquons de dériver dans l’inertie en nous apitoyant sur nous-mêmes.
MODÉRATION
J’ai rencontré des personnes qui étaient très inspirées et très sérieuses dans leur pratique spirituelle, qui y investissaient beaucoup d’énergie. Mais elles mettent trop souvent l’accent sur l’action, sur le fait d'essayer d’aller quelque part pour atteindre quelque chose. C’est peut-être utile au tout début, comme l'enthousiasme des jeunes qui ont beaucoup d'énergie. Mais, en général, je les mets en garde : « Faites attention; vous risquez de vous épuiser ! » Si on mise tout sur l’aspect énergie, on finit par s’épuiser. Mieux vaut la maîtriser, la tempérer, avoir sur elle une action modératrice. Cela signifie parfois devoir renoncer à la force de l’énergie et nous détendre davantage, ou même essayer de voir comment nous nous en sortons lorsque l'énergie est absente. Parfois, l’énergie nous concentre très fort sur une certaine chose au point que nous en devenons obsédés. L’énergie peut être une véritable drogue mais elle finit toujours par saturer. Nous savons tous comment les choses se passent quand on est vraiment en bonne santé et que tout va bien, quand on vient de boire un bon café et qu’on médite toute la nuit. Mais qu'en est-il du lendemain et du surlendemain ? Vous souvenez-vous de la voie du milieu ?
Dans le Canon pāli, il y a une histoire très intéressante qui illustre combien il est important de savoir équilibrer son énergie (A.III, 374). Le Vénérable Sona était exceptionnellement diligent dans ses efforts, mais il ne parvenait pas à obtenir le moindre bénéfice de sa pratique et il commençait à envisager de retourner à la vie laïque. Conscient de son grand potentiel, le Bouddha lui donna un enseignement. Il l'interrogea sur une de ses expériences dans la vie laïque où il jouait du luth. Sona a confirmé que le luth ne sonnait bien que lorsque les cordes étaient correctement accordées, ni trop tendues ni trop relâchées. Le Bouddha a répondu que de même, dans la pratique spirituelle, ce n'est que lorsque l'énergie est correctement ajustée que l’on peut obtenir des résultats. Grâce à cet enseignement personnel, le Vénérable Sona fut bientôt capable d’équilibrer son énergie et de réaliser le plein éveil.
Ailleurs (A.I, 257), il est conseillé, lors du développement de « l’esprit élevé », d’avoir recours aux trois qualités de concentration, d’effort et d’équanimité en les alternant. Si on n'applique que la concentration, l'esprit a tendance à la paresse ; si l’on ne fait que des efforts, l'esprit a tendance à être agité; et si on n'applique que l'équanimité, l'esprit peut ne pas se concentrer suffisamment pour arriver à la libération finale.
SOMNOLENCE PENDANT LA MÉDITATION
Il existe un discours (A.IV, 85) dans lequel le Bouddha aborde spécifiquement le thème de la somnolence pendant la méditation. Le Bouddha avait deux disciples proches qui l’aidaient à enseigner. On dit que Sariputta était son bras droit et Moggallāna, son bras gauche. Un jour, le Bouddha constata, avec son « œil divin », que Moggallāna était en train de somnoler dans la forêt alors qu’il essayait de méditer. Le Bouddha vint à lui (par ses pouvoirs psychiques) et lui donna un enseignement très important, un discours dans lequel il énumère huit façons de gérer la somnolence.
La première consiste à ne pas prêter attention à tout ce qui risque de causer de la somnolence, par exemple un objet de méditation trop relaxant ou une attitude de type refoulement.
La seconde consiste à réfléchir, à étudier et à examiner attentivement les enseignements du Bouddha. C'est une façon de stimuler habilement l'esprit. On croit que la méditation consiste toujours à apaiser l’esprit, mais l’esprit a parfois besoin d’être énergisé. Dans ce cas, nous
devons stimuler une activité mentale mais en l’appliquant à quelque chose de bénéfique comme réfléchir sur le Dhamma.
La troisième façon est de réciter des enseignements du Dhamma. Techniquement, cela nécessite, comme à l’époque du Bouddha, d’avoir appris des passages par cœur pour pouvoir les réciter à haute voix. Les passages inspirants, par exemple la prise des Trois Refuges, sont particulièrement utiles. Si vous n'avez pas appris d’enseignement par cœur, vous pourriez peut- être en lire quelques-uns. Un enseignant contemporain, qui encourage la pratique de la méditation toute la nuit les soirs de pleine lune et de nouvelle lune, alterne des périodes de méditation assise et en marchant avec des récitations répétitives d'une heure, et les gens trouvent cela très stimulant.
La quatrième façon, lorsque vous remarquez que vous dodelinez de la tête et que votre esprit est trop morne pour étudier ou réfléchir sur le Dhamma, consiste à se « tirer les deux oreilles » et à se masser les bras et les jambes. Une de mes méthodes, lorsque je suis assis en méditation et que je me sens fatigué ou somnolent, est de masser mes doigts sans faire de bruit. C'est une espèce de réflexologie. En se massant les doigts, on peut stimuler tout le corps. Si je le fais discrètement, personne ne le remarque et cela a souvent un excellent effet sur la circulation sanguine et le réveil de l'énergie.
La cinquième méthode consiste à se lever de son siège, à s’asperger d'eau et à regarder scintiller les étoiles. On peut aussi sortir prendre l'air, ou faire quelques étirements.
Si, lorsqu’on reprend l’assise, la somnolence est toujours présente, la sixième méthode – peut-être pas aussi facile – consiste à développer la perception de la lumière. Il existe des exercices de méditation traitant de la façon de créer de la lumière dans l’esprit afin que la nuit soit aussi claire que le jour27. Je ne le recommanderais pas, car il est difficile, après, d’éteindre cette lumière ! Un moine que je connaissais en Thaïlande effectuait une longue retraite intensive et souffrait de somnolence. Son maître lui a parlé de cette méditation sur la lumière et il l'a développée pour qu'il y ait de la lumière dans son esprit en permanence. Il pouvait fermer les yeux et la lumière était toujours allumée. Mais après, il ne pouvait plus dormir ! Il a parlé de ce nouveau problème à son maître et celui-ci a répondu : « Eh bien, maintenant, tu dois apprendre à éteindre la lumière. » Il a donc dû rester assis pendant deux jours, à fermer les yeux et à essayer d’éteindre la lumière. Ensuite, il a pu dormir à nouveau. Une méthode plus facile et plus sûre consiste à ouvrir les yeux lorsque vous vous sentez somnolent. Vous pouvez les ouvrir pour laisser passer juste assez de lumière pour contrer la somnolence, sans regarder autour de vous ni focaliser votre regard sur un objet. Essayez de cligner des yeux vigoureusement pendant quelques minutes ou faites des exercices d’étirement des yeux.
Si la somnolence ne disparaît toujours pas, la septième suggestion est de se lever et de méditer en marchant « avec les facultés contenues et l'esprit recueilli ». Cela peut générer physiquement plus d'énergie. Vos yeux sont ouverts et vous devez être plus attentif. Il est beaucoup plus difficile de s’endormir quand on marche. Mais cela peut arriver – faites attention ! Il y a aussi plusieurs manières d’adapter cette consigne. On peut ajuster la vitesse de la marche et la longueur du chemin. La marche vigoureuse peut être stimulante pour certaines personnes mais épuisante pour d’autres. Pour augmenter la vigilance, certaines personnes gagneront à suivre un sentier court qui les oblige à s'arrêter souvent pour faire demi-tour. D'autres personnes trouvent qu’un sentier court les perturbe car elles ne parviennent pas à
27 Le Commentaire sur le Saṃyutta Nikāya donne les instructions suivantes : poser son attention sur la lumière du jour, parfois fermer les yeux et parfois les ouvrir. Lorsque la lumière apparaît (dans l'esprit), que les yeux soient ouverts ou fermés, cela signifie que l’on a réussi à créer la perception de la lumière. cf. CDB, 1946 note 273. Cependant, Analayo (2012 p.68), se référant à D.III, 223, estime que « perception de la lumière » pourrait signifier « clarté mentale ».
atteindre un rythme de marche confortable pour pouvoir se concentrer. On peut aussi faire des essais : alterner la vitesse, faire des pas plus longs, marcher en arrière, marcher sur un sentier étroit ou sombre, marcher au bord d'un plan d'eau ou de la mer, monter et descendre une colline, etc. – tout ce qui peut contribuer à réduire la somnolence.
Et enfin, si tout échoue, la huitième méthode consiste à s’allonger sur le côté droit avec l’intention de se réveiller dès que l’on sera à nouveau conscient. On se repose mais on ne s’endort pas trop, et on se lève dès le réveil. Peut-être êtes-vous fatigué parce que le corps est physiquement épuisé ou parce que l'esprit est épuisé. Dans ce cas, vous avez besoin de vous reposer. Chacun doit savoir combien d’heures de sommeil il lui faut. Un jour, quelqu'un a demandé à Ajahn Chah : « Combien de temps dois-je dormir ? » Des références dans les Écritures indiquent que le Bouddha ne dormait que quatre heures par nuit. Certains enseignants prennent cela à la lettre et, lors de certaines retraites, demandent que l’on fasse vœu de ne dormir que quatre heures. Quant à Ajahn Chah, il a répondu : « Je ne sais pas quels sont vos besoins de sommeil. À vous de le découvrir. » Nous sommes les meilleurs juges pour savoir combien de repos il nous faut. Certaines personnes utilisent beaucoup d'énergie physique et ont peut-être besoin de plus de repos. D'autres ont un esprit hyperactif et nécessitent plus de repos mental. Plutôt que de lutter pour tenir avec quatre heures de sommeil le reste de votre vie, il est plus important de connaître votre esprit. Même si vous dormez dix heures par nuit, au moins vous le savez. Et à mesure que vous apportez cette qualité de connaissance dans votre esprit, celui- ci devient plus clair et vous constaterez peut-être que vous avez besoin de moins de sommeil. Votre esprit devient plus clair parce que vous avez une meilleure connaissance de vous-même. C'est autre chose que de chercher une réponse de l'extérieur.
Il serait peut-être utile d’ajouter ici une neuvième méthode que certains enseignants de la forêt en Thaïlande utilisaient pour lutter contre la somnolence. C'est une méthode plutôt extrême que personnellement je ne recommanderais pas car elle risque d’entraîner des blessures graves, voire la mort. Cependant, certaines personnes souhaiteront peut-être essayer une version adaptée. La méthode utilisée consistait à s'asseoir au bord d'une falaise ou d'un gros rocher, de sorte que dodelinait fortement de la tête, on risquait de tomber par-dessus bord. Bien sûr, nous n’entendons parler que de ceux à qui cette méthode a réussi ! L’idée est que l'instinct de survie peut nous apporter une décharge supplémentaire d'énergie et que celle-ci chasse la somnolence.
Une autre version plus sûre de cette méthode consistait à s'asseoir sur une plate-forme surélevée très instable, de sorte que l’on était averti de la moindre manifestation d’endormissement par un réveil brutal ! Une version moderne consisterait peut-être à s'asseoir sur le bord d'une chaise ou d'une plate-forme légèrement surélevée, ou au bord d'une piscine ou d'un étang d'eau froide (dans un endroit où vous ne risquerez pas de vous blesser), juste pour vérifier si cette méthode pourrait vous convenir. Pour certaines personnes, il suffira peut-être de s’asseoir en méditation en plein air, dans un endroit où le changement de température, le vent, les insectes et les bruits les stimuleront davantage et éviteront qu’elles ne s’endorment. C'est l'une des méthodes formelles mentionnées dans les Commentaires sur le Canon pāli (NDB, 1595 n.34).
MÉTHODES SPÉCIFIQUES
Parfois, la léthargie et la somnolence requièrent la mise au point de moyens habiles spécifiques ou l’utilisation de techniques particulières pour traiter le problème qui est le vôtre. L’attention doit toujours être au premier plan mais nous pouvons aussi être créatifs et écouter notre intuition.
L’une des causes de la léthargie et de la somnolence mentionnées dans les Écritures est la
« somnolence après les repas ». Comme il a été dit dans le chapitre sur les désirs sensoriels, la
pratique qui consiste à « manger avec modération » est d’un grand secours. Le Commentaire sur l'Aṅguttara Nikāya explique que cela signifie cesser de manger alors que l’on pourrait encore avaler quatre ou cinq bouchées de nourriture (NDB, 1595 n.34). De plus, pour augmenter l'énergie et faciliter la digestion, il est bon de faire une méditation marchée tout de suite après le repas ou d’entreprendre toute autre forme d'activité telle que balayer ou ranger ses affaires.
Une autre cause de léthargie et de somnolence évoquée est « l’apathie de l’esprit ». Il est bon de commencer par voir si cette apathie est causée par un problème physique ou par autre chose. Elle pourrait être liée à des changements de temps, en particulier par temps chaud. Pendant les après-midi particulièrement chauds et humides de Thaïlande, j'ai remarqué que mon esprit était très apathique. C’est arrivé tellement souvent que j’appelais cela « l’effondrement tropical » et la seule méthode efficace pour y remédier était de faire plus de méditation en marchant et de boire de la caféine ! Parfois, cela peut aussi être dû à des problèmes digestifs ou à des troubles du sommeil.
Il arrive que les méditants, en particulier pendant les longues retraites intensives, souffrent de troubles rénaux dus à de nombreuses heures en position assise. Rester assis pendant des heures peut provoquer des tensions dans le bas du dos et une compression des reins. Un de mes amis moine d’origine chinoise m'a parlé d’un traitement chinois des reins par l'eau qui consiste à boire cinq verres d’eau distillée dès le matin pour nettoyer les reins. (Si jamais vous essayez, veillez à vous trouver dans un endroit proche des toilettes !) En théorie, il s’agit de purger les reins mais j'ai découvert que cela a un autre effet. Comme le système digestif doit traiter toute cette eau, la circulation sanguine est accélérée. Je buvais toute cette eau le matin et j’avais la sensation d’avoir avalé une tasse de café bien fort. J'étais « dopé » mais de façon très paisible et je ne me rendormais pas (en partie parce que je devais aller aux toilettes toutes les quinze minutes !) L’article que mon ami moine m'a montré à ce sujet disait que ce traitement guérissait de nombreuses maladies en éliminant les toxines contenues dans les reins. Bien que la quantité d’eau optimale spécifiée soit de cinq verres, je vous suggère de faire des essais pour voir ce qui vous convient.
À d'autres moments, l’apathie de l'esprit est plutôt liée à un problème mental. Peut-être que nous passons par une période de détresse émotionnelle ou que des souvenirs perturbants nous reviennent à l’esprit. Peut-être sommes-nous sous un nuage de perte d’intérêt ou nous sentons- nous découragés ou déprimés. La méthode principale pour traiter cet esprit apathique (comme mentionné ci-dessus) est de développer les facteurs d'éveil les plus énergisants : l’étude du Dhamma, l'énergie et la joie (S.V, 113).
MARASME SPIRITUEL
Le marasme peut être cause de léthargie spirituelle, mais peut aussi être un signe positif indiquant que la pratique fonctionne réellement. Si on est toujours prisonnier du matérialisme spirituel des valeurs de l’ego et si on espère un « gain » spirituel, on peut avoir l’impression que rien ne se passe. Cependant, lorsque la pratique commence à fonctionner, elle fonctionne en dehors du cadre normal de l'ego et de ses gratifications. Elle agit dans les coulisses en travaillant sur l’ego, en sapant ses valeurs ou en nous détachant d’elles. Nous n’avons plus besoin d’un profit spirituel pour l’ego, nous avons compris ses petits jeux. Donc, plutôt que de nous inquiéter du fait qu’il n’y a pas de progrès dans la pratique sous prétexte que nous ne voyons pas de résultats évidents, nous nous rendons compte que la pratique a maintenant progressé à un niveau plus subtil où le marasme exprime en fait plus de paix et de finesse dans notre pratique. Il nous faudra peut-être alors réexaminer nos priorités dans la pratique
spirituelle : cherchons-nous plus de gratifications ou plus de paix ? Nous pouvons aussi accorder plus d'attention aux processus internes qu'aux avantages externes.
Si nous prenons conscience que le marasme est dû à une manière rigide d’appliquer une technique, nous devrons peut-être faire preuve de plus de créativité. Le but des techniques est de nous aider à développer des qualités spirituelles. Alors, quels autres moyens pouvons-nous utiliser pour les développer ? Ajahn Chah n'a jamais adhéré à une technique particulière. Il disait qu'il y a toutes sortes de moyens habiles (upaya) pour contrer la grande variété des états mentaux néfastes. Son mot d'ordre était : « Si cela fonctionne pour vous, utilisez-le ». Ainsi, en n’adhérant à aucune technique de manière exclusive, nous pouvons utiliser les unes ou les autres selon le moment et le besoin. Je pense qu'il savait à quel point le « moi » est doué pour récupérer tout ce qui lui permet de se défendre, y compris les techniques spirituelles. En outre, même si certaines techniques ont bien fonctionné pour vous, elles ne fonctionneront probablement pas indéfiniment car la nature du « moi » change. Nous devons garder une longueur d'avance sur les ruses de l'ego.
CHANGER DE ROUTINE
Une façon de garder une longueur d'avance sur l'ego consiste à changer régulièrement notre façon de pratiquer. Ajahn Chah était un maître dans le changement de routine. Juste au moment où les gens commençaient à s'habituer à une certaine routine au monastère, il la changeait. Le
« moi » aime les habitudes, il se cache derrière la familiarité de la routine. Donc, déranger la routine nous aide parfois à débloquer les énergies et à nous sortir de notre ennui ou de notre léthargie. Au lieu de vous laisser écraser par une routine figée, essayez de faire une longue marche en pleine conscience et voyez quel effet cela produit sur votre niveau d'énergie.
Il m’est arrivé, par une chaude après-midi en Thaïlande, de me battre sans grand succès pour maintenir un degré de présence dans ma méditation. Au bout d’un moment, je me suis dit que j’allais sortir un peu, juste pour prendre l'air. Je me suis assis sur l’allée en béton, le dos appuyé contre le mur. Tandis que j’étais assis là, j'ai remarqué les formes que dessinaient les rayons du soleil sur le sol, les feuilles qui flottaient doucement dans la brise, les insectes qui défilaient, et j'ai remarqué que l'esprit était très calme et parfaitement éveillé. Je suis resté assis comme cela pendant environ une heure en ressentant un degré de paix que je n'avais pas atteint après des heures de pratique de méditation formelle.
Une autre approche particulièrement importante et utile consiste à toujours être présent et conscient dans tout ce que l’on fait, notamment pendant la pratique méditative habituelle. Je recommande généralement aux personnes d'observer l'état du corps et de l'esprit au début de chaque séance de pratique formelle. Dans quel état physique et mental êtes-vous à ce moment- là ? Une fois que vous êtes clairement conscient des circonstances qui sont les vôtres, vous pouvez adapter votre approche de la pratique en fonction de la réalité de l’instant. Généralement, les gens s’engagent dans leur pratique régulière d’une manière méthodique, figée, puis s’efforcent de l’adapter à la réalité de la situation. Après, ils se demandent pourquoi ils sont fatigués ou pourquoi ils s’endorment – c’est tout simplement parce qu’ils suivent machinalement une routine dénuée de dynamisme.
DÉPENDANCE À LA PENSÉE
Pour les personnes qui ont développé l'habitude de dépendre de la pensée pour rester éveillées, travailler avec la léthargie et la somnolence nécessite un changement d'attitude vis-à- vis de la pensée. Quand j’étais en Suisse, lors d'une de retraite monastique de trois mois, quelques personnes sont venues séjourner au monastère. Je leur ai donné quelques instructions
sur l’attention à la respiration et, au bout de deux ou trois semaines, je leur ai dit : « Très bien. Maintenant laissez tomber la respiration et observez simplement les états d’esprit. » L’un des retraitants s’est senti perdu. Il m'a dit qu'il ne pouvait pas observer son esprit. C’était un garçon qui aimait réfléchir et il se souvenait que le premier enseignement qu’on lui avait donné sur la méditation était : « Méditer, c’est ne pas penser. » Alors, depuis cinq ans, il essayait de ne pas penser. Imaginez un peu ! Il s’était retrouvé avec deux sortes de pensées : les pensées qui tournent dans la tête et la pensée de ne pas penser. Il poursuivait ses pensées dans sa tête et généralement il lui fallait environ un mois de pratique intensive avant de pouvoir arrêter de penser. Mais, à ce moment-là, il ne pouvait pas observer les pensées ni tout autre état d’esprit parce qu’il avait tout supprimé. Ensuite, en fin de retraite, lorsqu'il revenait à la vie ordinaire, le programme de pensées se remettait en route et son esprit était incontrôlable. Les pensées reprenaient le dessus et il tombait généralement dans une profonde dépression.
Pouvoir observer le processus de la pensée nous ouvre une autre perspective sur les pensées. Plutôt que de gaspiller de l'énergie à essayer de les arrêter, nous constaterons peut-être qu’elles s'arrêtent parfois d'elles-mêmes dès qu’on essaie de les observer. Certes, toutes nos vieilles habitudes leur ont donné un certain élan, mais si nous ne continuons pas à les encourager et si nous n’essayons pas non plus de les supprimer, elles finissent par se calmer. Nous n’ajoutons pas d’énergie aux pensées, nous employons plutôt cette énergie à les observer et à les connaître.
De même, certaines personnes ont pris l’habitude de toujours essayer de contrôler leurs pensées au point que s’en est devenu leur premier mode de fonctionnement dans la vie. Il y a toutes sortes de pensées dans l'esprit et il faut pouvoir les contrôler jusqu’à un certain point pour ne pas qu’elles nous rendent fous parfois, mais cette lutte est souvent épuisante. Cette attitude s’accompagne généralement d’un jugement intérieur insidieux qui commente sans arrêt : « Cette pensée est inspirée. / Cette pensée est stupide. » La pratique de la méditation nous incite à investir notre énergie dans l’observation de ce qui se passe dans l’esprit plutôt que dans le contrôle. Cependant, cela ne se fera pas du jour au lendemain. Il s’agit de « dé-énergiser » notre manière habituelle de considérer les pensées et de dynamiser la nouvelle façon de les observer. Cela nécessite une prise de conscience claire des habitudes mentales de jugement et de contrôle. Il m’a fallu beaucoup de temps (et j’y travaille encore) pour avoir une présence consciente non critique. J’étais fortement habitué à tout juger et le pire c’est que je prenais cela pour une vertu. Bien sûr, il est nécessaire de distinguer le bien du mal, et ensuite de juger ce qui est le mieux pour nous mais la plupart du temps c'était une autre voix qui me disait ce qui était le mieux pour moi plutôt qu’une conscience claire et une sagesse issue de l’expérience. Cependant, plus nous donnons de l'énergie à l'observation du processus mental, plus il s'estompe ou passe au second plan.
Si vous parvenez à observer le genre de pensées qui se produisent juste avant que la somnolence ne s'installe, vous découvrirez peut-être que la somnolence est une façon de nier ou d'ignorer quelque chose, ou encore d'essayer de résister, de refuser ou de repousser quelque chose. Cela signifie que vous avez généré un état d'esprit de refoulement ou de déni. Et dans ce cas, la réaction habituelle du psychisme est de s'endormir. Si vous remarquez cette tendance, vous devez faire quelque chose pour vous libérer de cette attitude sous-jacente. Il est utile de commencer par éclaircir votre motivation dans la pratique. Dans l’Octuple Sentier, le facteur de l’Intention Juste (ou Pensée Juste) est une intention de renoncement, de non-malveillance et de non-nocivité. Le déni est-il un renoncement ? Est-ce que repousser les choses est une façon de ne pas nuire ?
Si vous avez une activité mentale trop importante ou trop prenante, il est très utile d'essayer de déplacer la conscience vers le corps, de suivre attentivement les sensations dans le corps, plutôt que de regarder le tourbillon de vos pensées. Essayez d’élargir la présence consciente en pratiquant l’attention aux ressentis corporels ; ainsi vous ne dépendrez pas de la pensée pour
rester éveillé et vous élargirez l’éventail de ce dont votre esprit est conscient. De cette façon, vous pouvez enraciner une partie de l'excès d'énergie mentale dans le corps et obtenir une distribution des énergies plus équilibrée entre le corps et l'esprit. Vous remarquerez peut-être que cela a un effet bénéfique sur les états extrêmes de léthargie et de somnolence, ou du moins que vous êtes davantage capable d’équilibrer l'énergie entre le physique et le mental selon ce qui est le plus utile sur le moment.
SAGESSE
Enfin, la meilleure aide pour lutter contre la léthargie et la somnolence est, bien sûr, la sagesse. Il est utile, même judicieux, d’avoir une bonne capacité de discernement. La sagesse consiste à savoir ce qui est juste et ce qui ne l'est pas. Mais pour vraiment savoir cela en profondeur, il faut connaître les deux aspects des choses. Habituellement, nous ne voulons pas regarder ce qui est désagréable ; nous jugeons que c’est mauvais et nous refusons de le voir, nous le repoussons, nous l’ignorons – nous ne voulons voir que les bonnes choses. Mais en réagissant ainsi nous n'arrivons jamais à comprendre comment l'esprit fonctionne vraiment. Êtes-vous capable d'être clairement conscient et d'étudier la nature de la léthargie et de la somnolence ? Peut-être qu’une certaine douceur vous aiderait.
Le développement de la sagesse passe par plusieurs étapes, depuis la connaissance jusqu’à la compréhension et jusqu’à la sagesse ultime dans le sens d’une connaissance réelle de la nature du « moi ». Dans un premier temps, nous apprenons quelque chose sur la léthargie et la somnolence : leur existence, leur origine dans le manque d’énergie, et leur capacité à cesser en générant plus d’énergie. Nous sommes plus vigilants quant à leur apparition, afin qu'elles ne s’enracinent pas trop. Ensuite, nous comprenons mieux les divers outils à utiliser pour les traiter et nous comprenons les avantages et la valeur de l’énergie en tant que l’une des cinq puissances spirituelles et l’un des sept facteurs d’éveil. Grâce à une pratique continue, tous ces facteurs bienfaisants se regroupent. Nous commençons à comprendre la nature de l’énergie, la façon dont le corps fonctionne, la façon dont l’esprit fonctionne, et la façon dont la léthargie et la somnolence sont créées par le « moi » et toutes les pitreries qu’il crée.
RÉSUMÉ
La léthargie et la somnolence sont des effets ressentis par la plupart des personnes qui essaient de développer la méditation. C’est peut-être davantage un problème pour ceux qui vivent dans un climat froid, qui sont habitués à une activité importante et qui, ensuite, s’engagent dans l’exercice plus passif de la méditation assise. Cependant, même si ces états sont désagréables et frustrants, il s'agit essentiellement de développer une relation plus équilibrée entre l'énergie physique et l’énergie mentale. Plutôt que de lutter contre la léthargie et la somnolence, il peut être plus bénéfique et intéressant d’étudier la nature de l’énergie humaine. D'où vient-elle ? Comment s’épuise-t-elle ? Comment peut-elle être revitalisée ?
Souvent, c’est précisément le fait de vouloir se débarrasser de la léthargie ou de la somnolence qui nous fatigue. Essayer de se débarrasser de quelque chose est souvent épuisant. Mais si nous sommes capables de nous arrêter et de nous demander : « Que se passe-t-il dans ce corps et dans cet esprit ? », nous apporterons probablement davantage de clarté et d’énergie à la pratique. Investiguer sur la véritable nature des choses peut être exaltant et stimulant, et peut nous conduire à la libération par la sagesse. Essayons donc de travailler avec cet obstacle de manière habile pour découvrir en nous une source d'énergie plus profonde, qui ne dépend ni de la volonté ni de l'inspiration, mais qui prend sa source dans notre potentiel de sagesse ultime.
AGITATION ET REMORDS
Brahmane, si un homme doté d’une bonne vue essayait de voir son reflet dans de l’eau que le vent agite et fait tourbillonner, produisant des vagues, il ne se reconnaîtrait pas et ne se verrait pas tel qu’il est vraiment. De même, si l’esprit de quelqu’un est envahi par l’agitation
et le remords, submergé par l’agitation et le remords…
Le quatrième obstacle a également deux aspects : l’agitation (uddhacca) et le remords ou inquiétude (kukkucca). Uddhacca signifie « absence de repos, agitation, excitation, distraction ». Le Chemin de la pureté ajoute : « Uddhaca a la caractéristique de l’inquiétude, comme l’eau fouettée par le vent. Sa fonction est l'instabilité, comme un drapeau ou une bannière fouettée par le vent. Cela s’exprime sous forme d’agitation, comme des cendres qui se soulèvent quand on les bombarde de pierres… » Kukkucca signifie « remords, scrupule, inquiétude ». Le Chemin de la pureté l’explique ainsi : « Kukkucca a pour caractéristique le regret ultérieur. Sa fonction est de causer du chagrin à propos de ce qui a été fait et de ce qui n'a pas été fait. Cela se manifeste sous forme de remords. Sa cause immédiate est ce qui a été fait et ce qui n’a pas été fait. On peut considérer cette affliction comme un esclavage. »
L'agitation est fondamentalement un état d’excès d’énergie – le contraire de la léthargie – et peut se manifester aussi bien physiquement que mentalement ou spirituellement. L'agitation physique peut avoir un impact sérieux sur l'esprit, tandis que l'agitation spirituelle imprègne notre vie jusqu'à l’éveil complet.
Quant au remords, c’est le regret, le chagrin ou l’inquiétude à propos de « ce qui a été fait et ce qui n’a pas été fait », autrement dit, une inquiétude excessive pour les erreurs passées. La plupart du temps, on traduit kukkucca par « inquiétude » mais comme il s’agit d’une inquiétude particulière causée par une faute de conduite, il semble approprié d’utiliser le mot « remords » et d’expliquer l’inquiétude dans sa connotation plus large, en tant que forme de doute, au chapitre suivant. Bien qu’il arrive souvent que l’on ressente du remords pour avoir commis une faute ou une erreur ou pour avoir offensé quelqu’un, lorsque cela devient une obsession, il risque d’en découler une ronde interminable de pensées culpabilisantes ou de récriminations intérieures. C’est ainsi que le remords stimule parfois l'agitation et que l'agitation peut déclencher le remords. Il existe également des différences sensibles entre eux.
UNE MÉDITATION
Asseyez-vous ou restez debout dans un endroit calme et tranquille.
Portez votre attention sur la respiration pour concentrer et calmer l'esprit.
Amenez à l'esprit le thème de l'agitation. Pouvez-vous ressentir une certaine agitation en cet instant, que ce soit physiquement, mentalement ou spirituellement ? Si ce n’est pas le cas, essayez de tendre tous les muscles du corps au maximum, comme si vous étiez littéralement
« hors de vous ». Ou bien essayez de contracter le corps jusqu’à le faire trembler comme si une charge d'énergie pulsait à travers lui.
Quelle est la sensation générale ?
Quelle est la principale tonalité du ressenti ? Agréable, désagréable ou neutre ?
Essayez d’évoquer mentalement une expérience d’esprit agité comme par exemple lorsque vous avez trop de choses à penser en même temps. Pouvez-vous vous connecter à cet état d'esprit ?
Quelle est la tonalité du ressenti à ce moment-là ?
Pour faire l’expérience de l’agitation spirituelle, vous pouvez essayer de retrouver toutes les formes de « moi » que vous connaissez : le « moi » qui aime et qui n’aime pas, le « moi » qui veut et qui ne veut pas, etc.
Quelle est la tonalité du ressenti de cette expérience ?
Pour faire l’expérience du remords, essayez d’évoquer un léger regret que vous pouvez avoir (quelque chose de gérable) à propos d’une chose que vous avez dite ou faite.
Plutôt que de laisser le ressenti se répercuter dans l’esprit, voyez si vous pouvez vous ouvrir à l’expérience directe du remords, au-delà de ce que vous « auriez dû » ou « n’auriez pas dû » faire.
Observez les sensations que cela peut déclencher dans le corps. Où sont-elles situées ?
Essayez d'y être pleinement présent. Quelle est la tonalité du ressenti ?
Ramenez l'attention sur la respiration. Comment est la respiration en ce moment ? Quand vous le jugerez bon, ouvrez les yeux et détendez votre posture.
CAUSE
Le Canon pāli dit que la principale cause d'agitation et de remords est le fait d’accorder souvent une attention inappropriée à l'inquiétude de l'esprit (avūpasantacittassa) (S.V, 103; cf. A.I, 3). Or il peut y avoir toutes sortes de raisons pour qu'un esprit soit perturbé. Tous les autres obstacles peuvent perturber l’esprit. Par conséquent, si vous constatez que l’un d’eux est la cause initiale de votre agitation mentale, vous devez commencer par porter votre attention sur la manière de traiter cet obstacle-là. S'il est difficile de déterminer la cause sous-jacente, agissez directement sur l'agitation et le remords.
Une des causes concrètes de l'agitation vient du fait d’accorder trop d'importance à l'effort (paggahana) et pas assez à la concentration (A.I, 257; cf. A.III, 375). Le Chemin de la Pureté contient plusieurs paragraphes sur « comment maintenir équilibrées les cinq facultés », ces facultés étant la foi, l’énergie, l’attention, la concentration et la sagesse (cf. S.V, 193). Il déclare : « L'agitation domine celui qui est fort en énergie et faible en concentration car l'énergie favorise l'agitation. » Il souligne également que la faculté d’attention est extrêmement importante parce qu’elle « évite que l'esprit ne sombre dans l'agitation du fait de la foi, de l'énergie et de la sagesse (qui risquent de favoriser l'agitation) et pour éviter qu’il tombe dans l'oisiveté du fait de la concentration (qui peut favoriser l'oisiveté). »
ÉNERGIE ET VOLONTÉ
Toute forme d'énergie excessive, physique ou mentale peut générer de l'agitation. Comme l’agitation est le contraire de la léthargie, le remède consistant à développer de l’énergie pour dépasser la léthargie risque d’être trop efficace et d’engendrer de l’agitation. Il arrive que, par inadvertance, nous sur-stimulions l'énergie. Certains exercices physiques tels que le yoga ou le taï-chi, utiles pour générer de l'énergie, peuvent également entraîner une surproduction d'énergie, provoquant une agitation. Personnellement, je trouve que faire des exercices de yoga
le soir est trop stimulant pour la méditation (et parfois pour le sommeil). À d'autres moments, des discussions passionnantes, une lecture trop émouvante, sans parler de la télévision et des ordinateurs, peuvent déclencher un syndrome d'agitation difficile à calmer.
L’une des sources les plus insidieuses d’agitation est la force de volonté. Dans le dernier chapitre, j’ai expliqué que la volonté était l’un des moyens de lutter contre la léthargie et la somnolence. Alors, comment peut-elle engendrer de l'agitation ? Fondamentalement, cela est dû à une volonté exagérément stimulée, autrement dit, une forme d’énergie artificielle ayant des effets secondaires graves. La volonté est générée et orientée par des concepts axés sur des objectifs et qui renforcent l'ego. L'ego a une idée conceptualisée de ce qu'il veut et il dirige la volonté pour l'obtenir. Le premier problème avec la volonté est qu’elle est liée à des concepts et donc pas en harmonie avec la réalité. Nous finissons par poursuivre un concept qui ne correspond pas à ce qui se passe réellement, de sorte que nous sommes déçus, insatisfaits et agités. Le deuxième problème est que la volonté est systématiquement axée sur des objectifs et lorsque l'objectif n'est pas atteint – ce qui est inévitable – on se retrouve encore déçu, insatisfait et agité. Le troisième problème est que la volonté fortifie l’ego, donc soit nous restons au niveau de pratique de l’ego (frustrés et agités), soit, si la pratique se déroule bien, nous perturbons l’ego et terminons encore une fois déçus, insatisfaits et agités.
Cependant, il est possible de prendre conscience que la volonté domine quand on remarque à quel point le « je » est omniprésent dans notre histoire : « J’ai besoin de plus de méditation, il me faut plus de concentration, je… je… je…». Vous devenez plus tendu physiquement et l'esprit est de plus en plus rigide. Une simple petite quantité de tension sur une certaine période de temps peut clairement intensifier l'inflexibilité. Lorsque votre corps se contracte, votre esprit se contracte aussi, ce qui va produire un corps agité et un esprit agité.
FOI ET SAGESSE
On dit que la foi peut également être une cause d'agitation. Si la foi est trop grande, les enseignements ont tendance à nous rendre très enthousiastes et zélés, au point qu’il devient difficile de les analyser calmement. En outre, cela peut parfois déborder sur le monde extérieur : on a envie de proclamer cette merveilleuse vérité ou d’essayer de convertir ceux qui nous entourent – c’est le « complexe du zèle missionnaire ». Dans le bouddhisme, il existe un phénomène que l’on appelle « être fou du Dhamma ». Quelqu'un peut être tellement inspiré par sa vision du Dhamma qu'il est obsédé par l'idée de le transmettre aux autres, sans vérifier si le moment et le lieu s'y prêtent ni si les autres s’y intéressent ou pas. Plutôt que d’essayer d’intégrer ces idées judicieusement et sereinement, il laisse jaillir l’énergie, comme si l’acceptation des autres allait confirmer sa propre compréhension. Souvent, cette compréhension s’envole elle aussi par la suite, car l’énergie nécessaire pour intégrer tout ce qui lui avait été révélé a été dissipée à l’extérieur.
On dit que la sagesse elle-même peut provoquer de l’agitation, mais il ne s'agit que de la sagesse initiale, la connaissance intellectuelle. Savoir conceptuellement quels sont les résultats de la pratique peut créer de l’agitation quand on espère obtenir ces résultats qui semblent faciles à atteindre, et cela empêche que se produise une véritable expérience. De plus, avoir des connaissances spéciales fait se sentir spécial aussi, ce qui peut être très stimulant. On croit savoir tout ce qu’il y a à savoir sur le sujet et on veut prouver ses capacités, ses connaissances ou en débattre avec les autres.
MANQUE DE MOTIVATION, NE PLUS RIEN À ATTENDRE, LE MARASME
Comme dans le cas de la léthargie, l’agitation est parfois causée par un manque de motivation, la perte des attentes – le « marasme ». Si nous ne trouvons plus de joie dans la pratique spirituelle ou si nous n’en obtenons aucun résultat, cela peut conduire à une agitation spirituelle qui va s’exprimer ainsi : « Cela ne fonctionne pas, peut-être devrais-je chercher autre chose. Peut-être devrais-je faire du badminton spirituel le dimanche soir au lieu de méditer ? » C’est généralement le résultat de l’impatience et d’une connaissance insuffisante de la façon dont se déroule le processus de la méditation. Ajahn Chah a souvent donné l'image du fermier impatient qui, se demandant pourquoi le riz ne pousse pas plus vite, arrache régulièrement les plants de riz pour vérifier s’ils font des racines ! À d'autres moments, nos attentes peuvent être satisfaites sur le plan de la vie dans le monde : certains problèmes ont été résolus, notre niveau de stress a diminué et nous nous sentons plus enracinés. Cependant, peut-être que certaines aspirations spirituelles plus profondes n’ont pas encore été satisfaites et nous nous sentons agités en raison d’une « démangeaison spirituelle » non exprimée. Si nous pouvons canaliser cette énergie dans un travail spirituel, nous pourrons peut-être aller plus profond dans notre quête.
LE DOUTE
Le doute, l’incertitude et la confusion peuvent aussi être une source d’agitation explosive. Sur le plan intellectuel, le doute entraîne normalement une paralysie mentale, mais s’il grandit au point de devenir une espèce d’état stationnaire frustré, on peut finir par être très agité à force de chercher une issue. Le doute peut revêtir de nombreuses formes et peut également entraîner des remords sous forme d'une inquiétude excessive.
LA SOUFFRANCE
Dans le chapitre précédent, j'ai dit que la souffrance pouvait engendrer de l'énergie. Cependant, nous devons être circonspects dans la manière dont nous l'utilisons car elle peut aussi provoquer de l'agitation. Bien que la souffrance puisse nous sortir d’une léthargie complaisante, elle peut parfois être tellement désagréable que le « moi » va nous distraire en nous agitant ou en soulevant n’importe quel autre obstacle. Peut-être que lorsque vous êtes assis en méditation, un certain inconfort physique commence à se faire sentir et finit par agiter l'esprit. Certains croient que la méditation est meilleure quand elle dure très longtemps mais ils n'ont peut-être pas compris que le but de la méditation assise est de calmer l'esprit, pas de supporter l’inconfort au point d’en être agité. Il est aussi possible qu’une souffrance mentale inconsciente cause de l’agitation, et nous préférons lutter contre cette agitation ou la supporter plutôt que d’essayer de découvrir ce qui se cache derrière.
Je me suis trouvé un jour dans un petit monastère du nord de la Thaïlande. C'était un endroit assez agréable dans une vallée tranquille. J'avais une petite cabane recouverte de chaume, un sentier pour méditer en marchant et je recevais suffisamment de nourriture dans mon bol chaque matin. J’ai passé quelques jours à méditer dans cet endroit mais mon esprit refusait de se calmer. Les pensées ne cessaient d’aller et venir : blablabla… J'ai commencé à me demander ce qui se passait. Je ne pouvais rien reprocher au climat, à la nourriture ni au logement. J'étais à court d'excuses – le problème venait peut-être des fantômes28 ?! Quoi qu’il en soit, comme je pensais
28 La cosmologie bouddhique compte plusieurs sphères d’existence en dehors du monde humain. Les Thaïlandais les connaissent bien et nombre d’entre eux pensent donc que le monde est peuplé par d’autres entités, en particulier des fantômes (les peta) et des êtres célestes (les deva). Certaines de ces entités sont supposées influencer les événements du monde humain : les fantômes empireraient les choses, en causant des maladies,
visiter plusieurs monastères, je suis parti ailleurs et la méditation s’est améliorée. Plus tard, je suis allé dans un autre endroit qui se trouvait sur une colline sous un énorme banian, avec une vue spectaculaire sur la vallée et sur les montagnes recouvertes d'arbres. Je me suis dit : « Je ne peux pas méditer ici, je vais passer tout mon temps à regarder la vue. » Cependant, après seulement quelques heures sur place, mon esprit est devenu très calme. C’est alors que j'ai compris pourquoi le calme mental se produit dans certains endroits et pas dans d'autres : parce que l’esprit a besoin d'un espace ouvert pour se sentir bien et détendu. Lorsque je faisais la méditation marchée dans cette agréable vallée, je me sentais étouffé, enfermé. Mon esprit était mal à l’aise, opprimé ou enserré, ce qui avait créé tout un train de pensées agitées. Par contre, au sommet de la colline avec beaucoup d'espace libre devant moi, je sentais que mon esprit était vaste et détendu. C’est pourquoi je préfère généralement m’installer tout en haut d’une colline. Je ne suis pas tout à fait sûr des raisons sous-jacentes mais j’ai tendance à croire qu’il s’agit d’une question de tempérament personnel. Dans tous les cas, l’important est de prendre conscience de sa propre agitation et d’utiliser cette prise de conscience pour remonter jusqu’à l’origine du problème.
TEMPÉRAMENT AGITÉ ET TRAUMATISME
Certaines personnes ont un tempérament naturellement agité. Peut-être que, pour une raison ou une autre, elles se sont entraînées à être constamment occupées – l'éthique protestante du travail sous stéroïdes ! Cela peut aussi être dû à une curiosité ou un intérêt excessif pour beaucoup de choses, du fait d’un esprit très actif ou d’une habitude préconditionnée. Certaines personnes à l’esprit vif souffrent d'impatience : elles voient ce qu'il y a à faire mais rien ne va assez vite pour elles, le corps lui-même leur paraît trop lent. Pour d'autres, l'agitation a peut- être pour fonction de compenser un problème émotionnel sous-jacent ou un traumatisme.
LA PEUR
La peur est le principal moyen de défense du « moi » et peut donc faire surgir n’importe lequel des obstacles, en particulier l’aversion, l’agitation-remords et le doute. Personnellement, je dirais que la cause fondamentale de la peur est de « ne pas savoir », de sorte que je l’inclurais plutôt dans l’obstacle du doute (au chapitre suivant).
La peur existentielle peut être à la racine de certains types d’agitation (spirituelle) et de remords ; le « moi » se sent menacé et réagit avec des pensées de remords et d'inquiétude. Or comme le « moi » n'a pas de réalité ultime, il est toujours sujet à la peur. Cela se manifeste parfois lorsque nous sommes seuls ou lorsque l'esprit méditatif entre dans un profond silence. Dans ces moments-là, nous perdons nos références habituelles aux gens ou à nos pensées ordinaires qui ont toujours été basées sur l’ego et, pour combler ce vide, le « moi » projette une agitation pleine d’angoisse existentielle.
HUMILIATION, POLÉMIQUES ET EXPLOITS SPIRITUELS
Les Écritures mentionnent expressément d'autres sources d'agitation. Par exemple, lorsqu’un moine ne reçoit pas suffisamment d’offrandes, il peut se sentir humilié ; quand on est humilié, on est agité ; quand on est agité, on perd sa retenue; sans retenue, l'esprit est incapable de se concentrer. Deuxième exemple : si on se lance dans une polémique, il y aura beaucoup de
deshantises,etc.Ceseffetssontparfoisatténuéspardesoffrandesméritoirescommelacérémoniequiconsiste à verser de l'eau dans laterre.
discussions et toutes ces paroles agiteront l’esprit (A.IV, 87). Parfois, même des conditions spirituelles positives sont source d’agitation. Le Canon pāli raconte l'histoire du Vénérable Anuruddha demandant des conseils au Vénérable Sāriputta. Il commence par évoquer ses propres réalisations spirituelles :
« Avec la vision divine purifiée qui surpasse celle des humains, je peux observer l’univers aux mille facettes, mon énergie est intense et active, mon esprit est clair et dispos, mon corps est calme et apaisé, mon esprit est paisible et concentré. Pourtant, cet esprit n’est pas libéré des pollutions sans saisie. »
Le Vénérable Sāriputta lui répond:
« Anuruddha, mon ami, quand tu dis : ‘Avec la vision divine purifiée qui surpasse celle des humains, je peux observer l’univers aux mille facettes’, c’est de la prétention. Quand tu dis : ‘Mon énergie est intense et active, mon esprit est clair et dispos, mon corps est calme et apaisé, mon esprit est paisible et concentré’, c’est de l’agitation. Quand tu dis : ‘Pourtant, cet esprit n’est pas libéré des pollutions sans saisie’, il s’agit de remords. Il serait bon, mon ami, que tu renonces à ces trois états, que tu n’y prêtes pas attention et que tu focalises ton esprit sur ce qui est au- delà de la mort. » (A.I, 282).
En suivant ce conseil, le Vénérable Anuruddha n’a pas tardé à devenir un arahant. Méditer sur « ce qui est au-delà de la mort » consiste à réfléchir sur « ce qui est paisible, ce qui est sublime, c’est-à-dire l’arrêt de toutes les activités (saṅkhāra), l’abandon de toute cause de renaissance (upadhi), le disparition du désir et des passions, la cessation ultime, le nibbāna. » (A.IV, 423).
SOIF DE STIMULATION
Un esprit vagabond peut causer de l’agitation lorsqu’il résulte de ce que l’on pourrait appeler une « soif de stimulation »29, en particulier pendant une retraite intensive où le niveau de stimulation sensorielle est fortement réduit. L’esprit, normalement habitué à de nombreuses sollicitations extérieures, a « soif » de plus. Si ce besoin fondamental n'est pas satisfait, l'esprit recherche d'autres moyens de stimulation, en évoquant des souvenirs, en planifiant ses activités futures ou en cherchant des sources de distractions extérieures.30
LE REMORDS
Il est tout à fait naturel de ressentir du remords pour une action, une parole ou une pensée maladroite. Toutefois, des complications surviennent quand on refuse de reconnaître que l’on a mal agi, lorsqu’on n’en est pas certain ou conscient, ou lorsqu’on est sujet au complexe de culpabilité. Ce dernier peut être particulièrement dominant si on est porté à l’autocritique, à l’autodénigrement ou à l’autopunition. Certaines personnes sont particulièrement sujettes à se sentir indignes ou perpétuellement coupables. À l’époque du Bouddha, la tendance au remords
– dans le bon sens du terme –, était assez fréquente en matière de discipline monastique et d’autocritique, de sorte que les moines amélioraient spontanément leur comportement ou demandaient à être pardonnés pour leurs fautes (A.I, 237).
29 Le texte anglais parle d’une « faim » de stimulation et explique que ce terme est emprunté aux « Six Faims » d’Eric Berne.
30 Pour plus de solutions à ce problème, voir Hanson (2011), disc 3.
Le remords peut parfois être attribué à une source particulière, mais peut aussi être assez vague, non spécifique ; cela peut être aussi un remords plein de doutes par rapport à ce qui a pu se produire ou ne pas se produire. Qu’est-ce qui éveille réellement le remords ? Là encore, peut- être que les pensées de remords qui émergent ne sont pas le vrai problème. Sont-elles plutôt générées par un vieux complexe de culpabilité ? S'agit-il d'une tentative du « moi » pour déplacer le centre d'attention vers autre chose ? Que se passe-t-il vraiment ?
CESSATION
LE CALME DE L’ESPRIT
Le remède formel à l’agitation et au remords consiste souvent à accorder toute l’attention voulue au calme (vūpasamo) de l’esprit (S.V, 106). Relativement parlant, le calme de l'esprit peut survenir à tout moment. Si l'agitation persiste, nous devrons peut-être rechercher des situations propices à l'instauration d'un esprit calme : comme un environnement tranquille, des personnes paisibles ou des activités qui détendent. Bien sûr, dans le contexte de la méditation, le développement de la concentration est le moyen le plus direct d’apaiser l’esprit (A.III, 449). L’explication donnée sur les « cinq facultés spirituelles » dit que, puisque « l’énergie favorise l’agitation », il est recommandé d’équilibrer l’énergie avec la concentration (voir plus haut). La concentration, au sens technique du terme, signifie la focalisation de l'attention permettant d'atteindre les absorptions méditatives. Cependant, l'agitation mentale est un obstacle à l'absorption méditative, alors comment ces deux facultés travaillent-elles ensemble ? Si nous définissons la concentration dans son contexte le plus large comme le fait de « rassembler » ou de « recueillir », nous pouvons l’appliquer à la canalisation de l’énergie. En la comprenant ainsi, nous pouvons faire en sorte que l’agitation ne soit pas un obstacle mais une source d’énergie supplémentaire. Le dilemme est de savoir comment canaliser efficacement cette énergie. Cela nécessite un certain degré de compréhension et de prise de conscience de la dynamique de l'énergie car si nous ne la gérons pas correctement elle se transforme en agitation et nous en sommes submergés, et si nous l'étouffons trop, nous nous retrouvons dans un état de léthargie. À quel point pouvons-nous réellement gérer cette énergie d’agitation ?
Le corps et l'esprit sont interdépendants. Par conséquent, lorsque l’esprit est agité, il est bon de canaliser cette énergie dans le corps plutôt que de rester assis avec un esprit qui vagabonde dans tous les sens. En faisant de la méditation en marchant ou un exercice physique méditatif, vous pouvez canaliser cette énergie mentale agitée dans une activité corporelle méditative et la transformer ainsi en concentration et en présence consciente… en espérant qu’il ne s’agira pas d’un simple transfert. Si nécessaire, lorsque vous avez trop d'énergie, vous pouvez commencer par faire un peu de jogging ou quelque chose de similaire. C’est peut-être une activité temporaire de transfert mais au moins, elle est saine. Une fois que le niveau d'énergie est gérable, vous pouvez investir votre énergie et votre attention dans une activité physique méditative qui pourra calmer l'esprit.
AUTRES ACTIVITÉS
Parmi les autres activités de canalisation d’une énergie agitée figurent les récitations ou les activités dévotionnelles. Certaines personnes sont très occupées dans la vie et souhaitent méditer pour calmer leur esprit. J’ai souvent rencontré des personnes occupant des emplois assez stressants qui m'ont demandé comment gérer leur mental agité ou les mouvements nerveux qui les secouaient quand elles essayaient de s'asseoir en méditation après le travail. Prenons l’exemple de notre petit rituel du soir : nous entrons dans la pièce avec attention et
commençons par l’exercice physique consistant à nous incliner trois fois devant l’autel. Si cela est fait avec présence d’esprit et attention, on peut considérer qu’il s’agit d’une méditation de conscience du corps. Ensuite, nous récitons les textes en les psalmodiant, ce qui est un exercice de méditation verbale qui aide à focaliser l’esprit à travers l’expression orale – même si nous ne savons pas ce que les mots veulent dire. Le rythme monotone et la répétition fréquente participent à cet effet apaisant ; ils canalisent notre énergie dans le corps sans agiter l’esprit avec des concepts. Ensuite nous nous posons dans la posture assise. Il y a donc un apaisement progressif : on est passé de l’exercice physique des prosternations faites en pleine conscience, à l’expression verbale des récitations psalmodiées et on est arrivé à la posture assise, stable et posée. Tandis que si vous sortez d'une activité trépidante et que vous vous asseyez immédiatement en méditation, l'esprit continue à tourbillonner et le corps s’agite probablement encore lui aussi. Mais si vous parvenez à passer progressivement et tranquillement à la posture assise, vous pourrez redistribuer une partie de cette énergie agitée de manière plus judicieuse.
Il est très courant pour de nombreux bouddhistes traditionnels de commencer leur méditation par des chants dévotionnels. La plupart de ces chants sont des récitations des enseignements du Bouddha, qui peuvent non seulement aider à focaliser l’esprit mais aussi l’inspirer, l’élever ou le connecter à des états mentaux propices. La récitation des refuges est particulièrement utile : on prend refuge dans la sagesse du Bouddha, dans la vérité du Dhamma, et dans la communauté compatissante du Sangha. On peut aussi réciter le Karaṇiya Mettā Sutta : les paroles du Bouddha sur la bienveillance. Sinon, peut-être qu'une courte lecture de certains textes spirituels adaptés peut aider à l’intériorisation. Ce sera un moyen de faire passer l’énergie mentale du mode conceptuel « cerveau gauche » au mode « cerveau droit », plus méditatif. Une activité faite en pleine conscience serait également bénéfique, par exemple nettoyer son lieu de méditation ou, si on est dans un monastère, nettoyer l’autel, le garnir de fleurs, allumer de l’encens et des bougies. En fait, toute action corporelle, parole ou pensée qui peut aider à calmer, à poser et à centrer l’esprit peut être utilisée comme support pour une pratique spirituelle calmante et paisible.
LES FACTEURS D’ÉVEIL DU CALME, DE LA CONCENTRATION ET DE L’ÉQUANIMITÉ
Lorsque l’esprit est nerveux et agité, il convient de développer les trois facteurs d’éveil apaisants que sont le calme, la concentration et l’équanimité (S.V, 114). Selon les Écritures, ce qui va alimenter le calme, c’est accorder fréquemment une attention appropriée à la tranquillité du corps et à la tranquillité de l’esprit (S.V, 104) ; ce qui va alimenter la concentration, c’est accorder fréquemment une attention appropriée à l’attribut du calme et à l’attribut de la non- distraction (SV, 105) ; tandis que ce qui va alimenter l’équanimité, c’est accorder une attention appropriée à tout ce qui est le fondement de l’équanimité (SV, 105).
Le calme est le plus diversifié des facteurs d’éveil, dans la mesure où il a aussi bien un aspect physique qu’un aspect mental. Donc, si nous canalisons une énergie agitée dans le corps, il pourrait être bénéfique de mettre l’accent sur cette qualité de calme. Le Chemin de la pureté mentionne un certain nombre d'autres facteurs à prendre en compte pour développer le calme : des facteurs physiques tels que manger des aliments nutritifs, rechercher un climat agréable et maintenir une posture appropriée, mais aussi d'autres facteurs tels que la modération, éviter les personnes agitées, se rapprocher de personnes calmes et rechercher résolument la tranquillité (PP.139; cf. CDB, 1907n .89).
Développer la concentration est, bien sûr, le moyen le plus direct de travailler avec l’agitation et l’inquiétude. Cependant, c’est aussi la qualité la plus opposée à l’agitation, de sorte qu’il est préférable de l’aborder de manière plus indirecte, par exemple, comme mentionné ci-dessus, en canalisant cette énergie dans des exercices physiques qui induisent la concentration. Certaines
fois, développer un certain degré de concentration sur un objet de méditation aide à détourner l'attention de l'agitation et du remords ou de leurs causes, ou à affaiblir les habitudes de distraction ou de pensée discursive. Au lieu d'être débordé par ces influences perturbantes, nous apprenons à nous en dégager et à ramener doucement et patiemment l'attention sur l'objet de méditation. Ainsi, nous pouvons « accorder fréquemment une attention appropriée » à l’attribut de la tranquillité et éventuellement amener progressivement l’esprit vers un état moins agité. Au fur et à mesure que nous prenons confiance dans ce processus, il prend de l'ampleur et ces obstacles ont de moins en moins de force.
Le troisième des facteurs d'éveil qui aide à apaiser l’esprit est l'équanimité. C’est la plus subtile des vertus méditatives, il faut donc être vigilant et ne pas la laisser se transformer en indifférence, désintérêt ou insouciance. La véritable équanimité consiste à être calme au milieu de l’agitation, paisible dans la tourmente, et posé dans le chaos. Donc, si on est capable de maintenir l'équanimité quand on sent de l’agitation en soi, on cesse d’alimenter l’agitation et on constate qu’elle est remplacée par l'équanimité. Le Commentaire sur le Saṃyutta Nikāya (PP.139; cf. CDB, 1908n.91) énumère d'autres moyens de maintenir l'équanimité, tels que la neutralité ou l'impartialité envers les êtres vivants et tous les phénomènes conditionnés (saṅkhāra), ainsi que se rapprocher de personnes ayant la même orientation.
LE MARASME
L’agitation provoquée par le marasme moral pourrait être un signe positif indiquant que la pratique commence à agir, qu’elle devient plus naturelle et s’intègre dans la vie quotidienne. L'agitation pourrait être le sous-produit de ce transfert de valeurs méditatives de l'extérieur vers l'intérieur. Idéalement, la pratique s'est rapprochée de la conscience du « non-moi », ou du moins elle s’est éloignée du besoin de continuer à nourrir l'ego en lui promettant de meilleurs résultats. Encore une fois, bien sûr, il faut faire attention ; il s’agit peut-être du « marasme de la léthargie » ou du « marasme du chemin perdu ». Cependant, si nous trouvons ce « syndrome du marasme » en remontant à la source de l’agitation avec patience et continuité dans la pratique, et en prenant soin de ne pas céder aux réactions que cela peut provoquer, le moment passera et notre pratique fonctionnera à un niveau beaucoup plus intégré et plus profond. Sinon, mieux vaut consulter un enseignant !
TEMPÉRAMENT AGITÉ ET TRAUMATISMES
Nous pouvons changer certaines de nos habitudes remuantes en mettant davantage l'accent sur le fait de calmer le corps et l'esprit. Bien sûr, nous devons faire attention à travailler de manière judicieuse, par exemple, en n’utilisant pas la force de la volonté pour imposer des attitudes calmes. Il est bon de nous souvenir que nous n’avons pas besoin d’être occupés sans cesse, et que le calme du corps et de l’esprit est en réalité plus bénéfique à bien des égards. Apprendre à se détendre et à poser les choses plutôt que de « faire » sans cesse va peut-être nécessiter des efforts suivis, mais ces efforts seront bien investis. Le corps est beaucoup plus lent à agir que l’esprit, donc introduire une énergie mentale agitée dans une activité physique peut aider à ancrer l’esprit. Nous devons apprendre à être plus patients avec notre corps maladroit, lui permettre de fonctionner à son rythme.
Parfois, l’agitation peut être symptomatique de quelque chose de très désagréable que nous ne voulons pas voir, par exemple une certaine insécurité sous-jacente. Nous continuons à nous distraire en pensant que tant que l’esprit reste occupé nous ne la verrons pas. Il est donc important d’approcher le symptôme lentement et avec précaution. Heureusement, l’agitation et le remords ont pour objectif principal de développer les qualités apaisantes que sont le calme,
la concentration et l’équanimité. Malheureusement, la concentration préliminaire elle-même peut se saisir de tout, y compris de l'agitation. Il est donc très important de maintenir un lien étroit avec les deux autres qualités apaisantes que sont le calme et l’équanimité, afin que leur influence soit déterminante.
LA SOIF DE STIMULATION
Si nous constatons que notre agitation est due à une soif de stimulation, il existe plusieurs méthodes utiles pour s’en libérer. Premièrement, il est bon de se rassurer en se souvenant que la mise en place d’un environnement sûr, sur le plan physique, émotionnel et psychique n’a rien de menaçant. Cela peut se faire de manière conceptuelle en réaffirmant l’aspect sûr et bienveillant de l'endroit où l’on se trouve. On peut évoquer des pensées de convivialité, d’innocuité et de compassion, ou si nécessaire s’entourer mentalement d'un champ de bonne énergie, chaleureuse et solidaire.
Deuxièmement, on peut essayer d’augmenter la stimulation en affinant l’attention portée à l’objet de méditation et à son investigation. On va essayer de l'observer de plus près et plus profondément, ou essayer de l'observer sous différents angles : avec plus de précision, en ouvrant le panorama, en étant particulièrement attentif à l’apparition ou à la disparition des phénomènes qui se présentent, etc.
Troisièmement, on peut essayer d’habituer l’esprit à moins de stimulations en lui faisant apprécier la tranquillité, l’équanimité et la paix.
CESSATION DU REMORDS
L'absence de remords (avippaṭsāra) résulte du maintien d'une conduite morale saine (sīla). Le bienfait du non-remords est le contentement (pāmojja) qui, suivi d’une série de qualités bénéfiques, conduit à la complète libération (A.V, 1). L’enseignement du Bouddha dit clairement qu’il est excellent de reconnaître ses fautes et de corriger son comportement en conséquence (S.II, 128). Sur le plan psychologique, il est très utile de prendre pleinement conscience des causes apparentes de remords et de se pardonner ou se réconcilier. Cela permet de libérer notre conscience et d'apaiser les pensées perturbantes qui en découlent.
CONNAISSANCE ET ANALYSE
Le Commentaire sur l'Aṅguttara Nikāya31 indique que la connaissance est l'un des principaux moyens de résoudre l'agitation et le remords. Il mentionne spécifiquement les facteurs suivants : bien connaître les enseignements du Bouddha, se familiariser avec la discipline monastique (Vināya), savoir poser des questions, et se rapprocher de personnes expérimentées de qui on peut recevoir des enseignements. Ceci est particulièrement pertinent pour ce qui concerne le remords, dans la mesure où, en nous référant aux Préceptes, nous pouvons savoir si notre comportement justifie vraiment le remords que nous avons. Ensuite, nous pouvons consciemment suivre les procédures sur la façon de remédier aux erreurs commises. Avoir suffisamment de connaissances aide également à résoudre facilement l’agitation causée par le doute et l’impatience.
31 3 NDB, 1595 n.36 ; cf. CDB, 1909 n.96.
Parfois, le simple fait de reconnaître consciemment l’agitation ou le remords est une solution en soi. Nous pouvons simplement lâcher le syndrome de l’agitation ou du remords, le laisser aller, le poser. Si c’est difficile, nous pouvons au moins nous détendre en le remettant dans son juste contexte : « Bon, c'est simplement de l'agitation. » À d’autres moments, une fois que nous sommes conscients de l'agitation ou du remords, nous pouvons essayer de trouver leur cause et cela peut apporter un certain degré de résolution. Nous pourrions remarquer qu’en réalité, l’agitation n’est pas le vrai problème, que c’est juste une réaction au doute. À partir de là, l’investigation va englober le doute. S'il est difficile d'élargir l’investigation, peut-être qu'un apaisement préliminaire de l'agitation pourra aider à mettre en évidence, à exposer ou à isoler le doute initial, de manière à faciliter une analyse plus approfondie.
Nous devrions également être conscients que, prises dans le bon contexte, certaines formes d’agitation peuvent être bénéfiques. Par exemple, si notre pratique tombe dans la complaisance, un certain découragement doublé d’agitation peut nous inciter à en sortir. De même, le remords peut être utile si nous le considérons de manière judicieuse. Il peut nous maintenir sur la voie de la moralité. C’est une sorte de réponse sereine à la peur : « Cette action / ces paroles / ces pensées sont-elles appropriées ? » Mais il faudra ensuite repérer le moment où cette approche risque de devenir excessive.
RÉSUMÉ
L'agitation est un état où l’énergie est en excès. Cela peut être dû à diverses causes, physiques, mentales ou spirituelles. La principale cause est l'inquiétude de l'esprit, qui peut elle- même être due à d'autres causes. Si nous ne détectons aucune cause évidente, par exemple l’un des autres obstacles trop dynamisants, nous pouvons progressivement affaiblir la prédominance de l’agitation en mettant délibérément l’accent sur les vertus apaisantes de la concentration, du calme et de l’équanimité. Parfois, lorsque nous calmons certaines formes ou certains degrés d’agitation, nous mettons au jour des causes sous-jacentes plus profondes que l’attention et l’investigation peuvent aider à résoudre. L’agitation est l’un des obstacles les plus persistants et il n’est complètement résolu qu’au moment de l’éveil total.
Le remords consiste en pensées excessives d'inquiétude ou d'auto-récrimination à propos d'actions, de paroles ou de pensées maladroites, que nous avons pu avoir ou pas. En nous engageant à adopter un comportement moral, nous pouvons empêcher que le remords ne survienne à nouveau et, en faisant amende honorable pour une conduite maladroite passée, nous pouvons finir par éliminer les causes des pensées et des inquiétudes chargées de remords.
LE DOUTE
Brahmane, si un pot rempli d’une eau agitée, trouble et boueuse, était placé dans l’obscurité, et qu’un homme doté d’une bonne vue essayait de voir son reflet dedans, il ne se reconnaîtrait pas et ne se verrait pas tel qu’il est vraiment. De même, si l’esprit de quelqu’un est envahi par le doute, submergé par le doute…
Le dernier des Cinq Obstacles est le doute (vicikicchā), également traduit par « perplexité » ou « incertitude ». Le doute est une forme de non-savoir ; il est donc étroitement lié à l'illusion (moha) et à l'ignorance (avijjā) et il s'exprime de différentes manières. Le doute dont il est surtout question dans le Canon pāli est le scepticisme, en particulier ne pas être convaincu de la valeur du Bouddha, du Dhamma, du Sangha et de l’entraînement sur la voie, mais il inclut également d'autres thèmes. Cependant, à l’heure actuelle, surtout avec la prépondérance de la pensée, le doute se manifeste sous différentes formes telles que le doute de soi, la confusion, l’inquiétude et l’indécision mais aussi, d’une certaine manière, sous forme de peur ou d’anxiété. Pour inclure ces autres formes de doute, ce chapitre est plus étendu que ceux consacrés aux autres obstacles. Les lecteurs qui ne seraient pas intéressés par ces aspects particuliers peuvent se limiter à lire le paragraphe intitulé « scepticisme ».
Le doute fait partie des sept prédispositions sous-jacentes (anusaya) que tout le monde possède dès le plus jeune âge (A.IV, 9 ; M.I, 111) ; c’est aussi l'une des dix entraves (sayojana) (A.V, 17). Sa dynamique est l’hésitation et l’incertitude menant à l'indécision et, dans les cas extrêmes, à l'inertie ou à la paralysie mentale. De nombreuses choses peuvent donner lieu au doute ; chacune a ses propres motivations. Si nous leur accordons trop souvent une attention excessive, cela ne fait qu'augmenter et aggraver le doute. Si, par exemple, nous nous demandons ce que nous réserve le futur – sujet de spéculation commun à de nombreuses personnes –, il est facile de voir que ce genre de questionnement peut nous submerger de doute, d’incertitude et de confusion.
UNE MÉDITATION
Asseyez-vous ou restez debout dans un endroit calme et tranquille.
Portez votre attention sur la respiration pour concentrer et calmer l'esprit.
Quand vous vous sentirez prêt, amenez consciemment à l'esprit la pensée suivante : « Que va-t-il se passer demain ? » Ensuite, au lieu d’essayer de trouver une réponse, voyez si vous pouvez rester avec le sentiment de ne pas savoir, avec l’incertitude, le doute, peut-être même la sensation de confusion, d’inquiétude ou de peur que cette question soulève en vous.
Soyez conscient des ressentis dans le corps. Y a-t-il un endroit précis où les sensations sont particulièrement fortes ? Au niveau du cœur, du ventre, du cou, du visage, des mains ?
Quelle est la principale tonalité de ressenti associée à ces sensations ? Agréable, désagréable, neutre ?
Observez ce qui se passe dans l’esprit. Pouvez-vous être conscient de ce que vous ressentez quand vous ne savez pas ce qui va se passer, quand il y a de la confusion ou autre chose de ce
genre ? Ou bien remarquez-vous que l'esprit tente furieusement de combler le vide, de vous distraire de cet état ou qu’il refuse de laisser se manifester cet état de non-savoir ?
Êtes-vous capable d'observer paisiblement tout ce qui se passe dans l'esprit ? Quelle est la tonalité de ressenti associée à cette expérience ?
Ramenez l'attention à la respiration. Comment est-elle en ce moment ? À présent, détendez votre posture et ouvrez les yeux.
DOUTE SCEPTIQUE / PERPLEXITÉ
Le doute sceptique, c’est l’incertitude, ne pas bien connaître ou ne pas avoir confiance en certains enseignements ou expériences. Cela peut s’appliquer à des choses précises telles que les enseignements du Bouddha ou des expériences personnelles, ou être de nature moins spécifique, par exemple ne pas être certain ou totalement convaincu de quelque chose, d’un certain contexte ou du sens des choses. À plusieurs endroits, le Canon pāli (A.III, 248; M, I.101) mentionne la situation dans laquelle un moine a « de l'incertitude et du doute, n'est pas convaincu ni rassuré » par son enseignant, par le Dhamma, par le Sangha ni par la formation qu’il reçoit. Il est aussi « fâché et mécontent de ses compagnons moines ». Par conséquent, son esprit n'est pas enclin à l'ardeur, à la dévotion, à la persévérance ni à l'effort. C’est ce que l’on appelle « les cinq stérilités mentales ».
Nous pouvons avoir des doutes sur le Bouddha, le Dhamma et le Sangha de diverses manières, en fonction de notre compréhension de ces concepts. Peut-être que, d’un point de vue religieux, nous doutons qu’ils soient vraiment les « trois joyaux » dans lesquels nous pouvons prendre refuge. D'un autre côté, si nous les voyons comme représentant la sagesse, la vérité et la vertu, peut-être que le doute n’interviendra pas. Si nous doutons de tout l’entraînement spirituel, il est bien évident que cela mine notre engagement et l’énergie que nous investissons dans la pratique, ce qui limite notre capacité à faire l'expérience de la vérité des enseignements du Bouddha et à dépasser ainsi le doute. Si nous entretenons des doutes sur certains aspects de l’entraînement, cela peut conduire à une compréhension incomplète, déséquilibrée ou superficielle comme par exemple, apprécier les explications logiques des enseignements mais douter de la valeur de la méditation.
DOUTER DE SOI
Il existe une présentation de l’obstacle du doute (S.V, 110) qui en mentionne deux types, interne et externe. Malheureusement, cela n’est pas expliqué plus avant mais le Commentaire sur le Saṃyutta Nikāya suggère, de façon assez abstraite selon moi, que le « doute interne » consiste à douter de l’impermanence, etc. des cinq agrégats d’attachement (khandha), tandis que le «doute externe » signifierait douter du Bouddha, du Dhamma, du Sangha, de l’entraînement sur la voie, du passé, du présent, du futur et de l’interdépendance des phénomènes (CDB, 1910 note 99). Quant à moi, je dirais que le « doute interne » pourrait faire référence à un doute de soi qui serait de nature relative ou existentielle. Le doute de soi relatif, c’est douter de sa propre capacité à pratiquer ou à bénéficier de la pratique, ou se demander si les expériences que l’on vit sont vraiment réelles, valables ou justes. Le doute de soi existentiel, c'est douter de la nature même du « moi » : qui suis-je ? Que suis je ? Douter de la réalité de ses propres expériences est une forme de doute grave qui peut nuire à la confiance en général. Le doute de soi existentiel peut mener à une discussion intérieure interminable recouvrant les nombreuses images que l’on peut avoir de soi.
Beaucoup sont ceux qui doutent d’eux-mêmes ou qui souffrent d’un manque de confiance en soi : « En suis-je capable ? » L’autocritique, l’auto-jugement, l’auto-dénigrement sont une épidémie psychologique dans les sociétés occidentales, exacerbée par la compétitivité qui règne dans la société : il n’y a qu’un seul gagnant dans chaque course et tous les autres sont des perdants. Ce sentiment est en toile de fond tout le temps et il se manifeste dans la pratique spirituelle. Combien de fois vous êtes-vous entendu dire : « Je ne suis pas assez bon, je ne vais pas y arriver » ou entendu des bouddhistes dire : « Oh, mon bon kamma est épuisé. Il ne m’en reste pas assez pour continuer » ?
CONFUSION
La confusion est une forme de doute assez obscur. Elle peut être spécifique, par exemple lorsque l’on n’est pas clair à propos de certains enseignements ou de certains domaines d'expérience ; ou bien se manifester par une confusion non spécifique, un état d'être général. Elle peut prendre la forme d’un esprit occupé et distrait, d’un esprit « brumeux » ou flou dans sa façon de penser, ou encore se caractériser par un manque de clarté par rapport à ce que l’on fait ou ce que l’on devrait faire.
INQUIÉTUDE ET INDÉCISION
L'inquiétude est un doute persistant sur ce qui aurait pu être, pourrait être ou devrait être, dans un sens négatif (si c’est positif, cela s'appelle fantasmer). Certaines personnes ayant un tempérament craintif, suspicieux ou pessimiste, vont générer de l'inquiétude pour apaiser leurs craintes ou leurs soupçons, contrecarrer d'éventuelles menaces ou se préparer à affronter des problèmes imminents. Malheureusement, cela ne fonctionne jamais vraiment puisque la plupart de ces éventualités résultent généralement d'un excès d’imagination et non de faits réels. Et quand la personne rencontre effectivement des difficultés, son esprit est tellement troublé par l’inquiétude qu’elle n’a pas la capacité mentale de les résoudre efficacement.
L’indécision, l’incapacité à décider d’un plan d’action ou d’une direction à prendre, sont étroitement associées à l’inquiétude. Il est utile et même appréciable d’avoir un certain degré de circonspection plutôt que de s’emballer impulsivement, mais si cela aboutit à une indécision paralysante, c’est aller trop loin.
PEUR / ANGOISSE
La peur est la forme de doute la plus primaire, puisqu’elle est générée par le fait de ne pas savoir. L’une des principales choses que nous ignorons est la nature même de la peur. La peur, sous une forme ou une autre, est une expérience que nous connaissons tous. Certains ont des peurs spécifiques, par exemple, la peur du noir, des serpents, la peur d’avoir une maladie horrible, etc. D'autres fois, la peur est déclenchée par un événement imprévu, comme lorsque quelqu'un nous fait sursauter. Et puis il y a les peurs conditionnées, liées à l’image que nous avons de nous-mêmes : peur de perdre la face, d’être humilié ou embarrassé ; et puis la peur existentielle de ne pas savoir qui nous sommes, d’où nous venons ni où nous allons.
CAUSES
Le Canon pāli donne deux causes connexes de doute : manquer suffisamment d’attention (A.I, 4) et accorder fréquemment une attention injustifiée à des choses qui soulèvent le doute (S.V, 103).
Comme mentionné plus haut, le manque d’attention est à l’origine de nombreux problèmes. En ce qui concerne le doute, il est la cause de l'apparition et de l'augmentation de l’illusion (AI,
201) et (du poison) de l'ignorance (MI, 7), l'apparition et l'augmentation de la vision erronée (AI, 31) et l'apparition de diverses spéculations mentales (MI, 8).
LE DOUTE SCEPTIQUE
De nos jours, la principale source de doute pour beaucoup de gens vient du fait qu’ils accordent une attention démesurée à la pensée, à la spéculation ou à l’analyse. Nous avons presque tous été éduqués à croire qu'une réflexion intelligente apporte toutes les réponses. Pourtant, dans l’enseignement du Bouddha, la pensée est considérée comme l’origine de nombreux problèmes. Lorsque l'organe sensoriel entre en contact avec un objet sensoriel, la conscience sensorielle apparaît :
... ce que l'on ressent, c’est ce que l'on perçoit; ce que l'on perçoit, c’est ce à quoi on pense; ce à quoi on pense, c’est ce sur quoi on prolifère conceptuellement. Ce sur quoi on prolifère devient la source de prolifération de perceptions et de délibérations qui assaillent la personne à propos de formes passées, présentes et futures rendues conscientes à travers la vue... [et les autres senshttp://www.wisdompubs.org/">www.wisdompubs.org: Aṅguttara Nikāya: The Numerical Discourses of the Buddha, Bhikkhu Bodhi, 2012. Dīgha Nikāya: The Long Discourses of the Buddha, Maurice Walshe, 1995.
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Publié par :
Amaravati Publications Amaravati Buddhist Monastery Great Gaddesden Hertfordshire, HP1 3BZ
United Kingdom
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ISBN 978-1-78432-149-9
Édition numérique 1.0
Photo couverture : Ajahn Thiradhammo Copyright © 2017 Amaravati Publications
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TABLE DES MATIÈRES
La méditation de la tranquillité 14
Les fondements de l’attention 16
Quatre façons d’être conscient 17
Avoir conscience des obstacles 21
La méditation de la bienveillance 27
Face aux pensées perturbatrices 28
Souvenirs, visions et expériences étranges 30
Connaissance des enseignements du Bouddha 31
Comprendre la perception sensorielle 32
Développer les sept facteurs d’éveil 34
Comprendre les tendances sous-jacentes 34
Les conversations qui aident 35
Patience, persévérance et détermination 37
Les tendances sous-jacentes 43
Les trente-deux parties du corps 45
Les tonalités des ressentis 49
Le désir en tant qu’énergie 49
Autres pratiques qui aident 51
Haine de soi et « vertueuse indignation» 57
Pratique de l’amitié bienveillante 61
Quand on rencontre des résistances 63
Quand la bienveillance ne fonctionne pas 65
Impermanence des ressentis désagréables 67
« Déballer » la séquence causale douleur-négativité 68
Haine de soi et vertueuse indignation 70
Les bons amis et les conversations bienfaisantes 70
Le piège de la tranquillité 75
Mécontentement ou résistance 76
Somnolence après les repas et apathie de l’esprit 77
Le facteur d’éveil de l’investigation des phénomènes 82
Le facteur d’éveil de la joie 83
Autres moyens de stimuler l’énergie 85
Somnolence pendant la méditation 87
Manque de motivation, ne plus rien à attendre, le marasme 97
Tempérament agité et traumatisme 98
Humiliation, polémiques et exploits spirituels 98
Les facteurs d’éveil du calme, de la concentration et de l’équanimité 101
Tempérament agité et traumatismes 102
Doute sceptique / perplexité 106
La mauvaise façon d’investiguer 108
Se tromper d’objet d’investigation 110
Partir de suppositions erronées / en posant la mauvaise question 111
Mélanger « notions ordinaires » et pratique spirituelle 112
Vision erronée ou attachement aux préjugés 113
Attachement aux opinions pour éviter le doute 113
Mode d’investigation erroné 120
Thème d’investigation erroné 121
Hypothèses erronées / poser la mauvaise question 122
Vision erronée ou attachement aux opinions 123
Les bons amis / enseignants (le Sangha) 126